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La Macumba et le vaudou d'Haïti

 « Il nous appartient, bien entendu, d’attirer Dieu en nous et de lui ouvrir la porte, mais nous devons prendre bien garde de n’ouvrir cette porte à n’importe qui dans la hâte où nous sommes de ne plus nous sentir seuls dans la maison de notre esprit. Est-ce clair ? » Louis Cattiaux

Qu’est-ce que la macumba ?

De nombreux esclaves d’Afrique noire furent envoyés dans les plantations brésiliennes entre les XVIème et XIXème siècles. Après leur migration, ils ont continué à exercer leur religion vaudoue qui prit le nom portugais de « macumba ». La macumba a longtemps été persécutée par les chrétiens locaux, mais ils moururent mystérieusement l’un après l’autre, ce qui permit la tolérance officielle de la macumba au Brésil et l’augmentation considérable de son pouvoir. Les quatre mille centres de Rio de Janeiro sont maintenant répertoriés civilement et délivrent même des certificats de mariage et de baptême.

Si le mot « macumba » désigne surtout la religion afro-brésilienne, il englobe aussi d’autres notions : les rites, le culte, le lieu des rites ou encore les sacrifices aux dieux[1]. Seul le contexte permet donc de saisir ce que désigne ce terme aux multiples facettes. En guise d’exemple, citons cette phrase parfaitement correcte grammaticalement : « Dans la macumba (religion), on fait des macumbas (rituels) dans des macumbas (lieux). »

Cette religion afro-brésilienne a largement été influencée par le christianisme : ses adhérents sont baptisés, des crucifix ainsi que des objets qui se réfèrent aux saints sont affichés dans les salles de réunion, etc. Voyons comment cela s’explique historiquement : les Portugais déploraient de voir leurs esclaves prier des dieux noirs ; en outre, ils craignaient que leurs danses[2] d’Afrique, en réveillant leurs instincts primitifs, ne les poussent à se révolter contre leurs maîtres. Les esclaves se mirent alors à danser à l’abri des regards et ils remplacèrent sur leurs autels les images de leurs ancêtres par des effigies de saints, tout en continuant à appeler les saints par les noms des ancêtres qui se trouvaient à leur place. Peu à peu, des sacrements chrétiens comme le baptême et le mariage furent aussi intégrés à la macumba.

Au Brésil, les Noirs et les Indiens d’Amérique vécurent longtemps côte à côte face à leurs maîtres blancs. La religion indienne est assez semblable à la macumba : des vieux esprits surnommés « cabocles » s’incarnent dans des mediums lors de cérémonies ; mais certaines pratiques propres aux Indiens seuls ne tardèrent pas à influencer les rites de leurs voisins noirs. Ainsi, bien souvent teintés de christianisme et de religion indienne, très peu de centres de macumba ont gardé intacts les rituels de leurs ancêtres africains.

Les cérémonies

La « mère des dieux » est une dame âgée experte en magie qui dirige tous les rites de la macumba ; c’est un ancien medium désigné nouvelle « mère des dieux » par la précédente. À l’entrée de sa demeure surnommée terreiro se trouve la salle de cérémonie avec les places des « invités », c’est-à-dire de ceux qui vont assister au rituel. Sur le « salon de danse » bien en vue de tous, il y a des joueurs de tambour et des mediums. Au-delà de ce grand espace, le bâtiment comporte toutes les pièces fonctionnelles d’une maison normale avec en outre, des chambres pour les mediums en phase d’initiation et des « maisons des dieux », petites pièces munies des objets fétiches des dieux invoqués et auxquelles on n’a accès qu’en étant « purifié ».

À leur arrivée dans le terreiro, les invités commencent par se mettre pieds nus sur le sol en terre battue (selon une lettre de Louis Cattiaux, cette pratique permettrait d’augmenter le magnétisme). Ils saluent la mère les dieux et les mediums, puis s’installent selon les instructions de l’adjoint de la mère des dieux. Après une prière introductive pour saluer les dieux, trois hommes frappent des tambours trempés au préalable dans du sang et des herbes spécifiques pour devenir magnétiques comme des voix humaines. Une quinzaine de mediums purifiés (en général des femmes, en dehors des périodes de menstruations, abstinentes sexuellement et initiées par la mère des dieux) et vêtus de blanc (en référence aux tenues des anciens esclaves noirs) se mettent à danser en cercle autour de la mère des dieux immobile qui fume une large pipe. L’adjoint invoque les différents dieux dans un ordre particulier. Quand un medium est possédé, il s’éloigne du cercle. La mère des dieux se tient prête à réagir en soufflant de la fumée sur le medium si la possession s’avérait trop violente. Les traits du medium changent, il attrape les caractéristiques du dieu qui le possède : certains se ruent sur l’alcool, d’autres se mettent à rire, d’autres encore deviennent violents... Chaque dieu se dirige alors vers la maison qui lui est réservée et troque ses vêtements blancs contre son costume habituel et ses attributs fétiches. Quand les dieux jugent qu’ils ont assez profité des corps qu’ils habitent, ils reçoivent les invités en consultation. Chaque dieu s’occupe d’un seul consultant et lui donne des conseils pour résoudre ses problèmes, de quelque domaine qu’ils soient ; ces dieux sont souvent dotés de connaissances médicales surprenantes, et de nombreuses guérisons sont opérées grâce à leur aide. Une fois les invités satisfaits de leurs entretiens, on prie les dieux de bien vouloir partir. Si l’un ou l’autre s’obstine à rester, la mère des dieux souffle de la fumée au visage du medium ; si un dieu se montre encore plus têtu, on jette un verre d’eau sur le medium ou on fait sonner une grande cloche prévue à cet effet.

Les dieux

Chaque medium est toujours possédé par le même dieu. Mais qu’est-ce qu’un « dieu » selon la macumba ? C’est un esprit africain ancestral doué de pouvoirs. Comme ils sont très nombreux dans la macumba, chaque terreiro invoque ses dieux de prédilection, et on n’observe que de légères variantes d’un centre à l’autre. Les dieux sont attirés par les bougies, l’encens, le rythme et les humeurs du corps humain ; en outre, lorsqu’il est invoqué en particulier, chaque dieu reçoit des cadeaux qui lui sont propres. Il incarne alors un medium et reprend les habitudes qu’il avait de son vivant : s’il se disputait avec untel, la bagarre continue dans la salle des cérémonies (sous la stricte surveillance de la mère des dieux toujours prête à intervenir), s’il aimait danser, il se met à danser, etc. Lorsque le dieu sort du medium, aucune trace ne reste de son passage ; en effet, les mediums ne gardent aucun souvenir de leur possession et si, par exemple, le dieu s’est enivré de manière excessive lors de son incarnation, le corps du medium délivré de la transe redevient immédiatement parfaitement sobre.

Les dieux viennent dans un lieu délimité qui, d’habitude, a été sacralisé : des ossements et des objets y sont enterrés, des animaux y sont égorgés, des codes sont inscrits par terre à la craie et une bougie trône au milieu de l’endroit pour que les dieux puissent le repérer de loin.

Les mediums

Il faut toujours un don pour être medium. Il arrive que, lors d’une cérémonie, un dieu se saisisse d’un des invités pour utiliser son corps : c’est le signe que la personne a un don. Si elle refuse de devenir medium, elle attire la rancune des dieux qui, en général, ne tardent pas à se venger.

Parfois, sans avoir reçu de signe, certaines jeunes filles veulent devenir medium ; elles interrogent la mère des dieux qui vérifie à l’aide d’un oracle si rien ne s’y oppose. Si elle reçoit une confirmation, la jeune fille quitte sa famille pour aller s’installer plusieurs mois dans le terreiro, sans pouvoir en sortir ni recevoir de visite. Elle est lavée dans des bains d’herbes sauvages et doit se coudre des nouveaux vêtements. À l’aide de l’oracle, on découvre qui est son « maître de tête », c’est-à-dire, le dieu qui la possédera à chaque rituel. On les lie alors par un pacte, scellé par un collier avec les couleurs du dieu et baigné dans du sang. La jeune fille est affaiblie par des jeûnes, des longues périodes sans sommeil, des bains de sang lors des cérémonies, des semaines où elle ne peut pas quitter son lit... Elle doit aussi apprendre les chants du terreiro, les lois et coutumes de la macumba. Après ces différentes étapes, elle peut entrer pour la première fois dans une transe lors de laquelle son dieu lui donne un djina, un nouveau nom. On vérifie que la transe est bien réelle en mettant une partie du corps du medium sous la flamme d’une bougie : s’il y a des traces de brûlures ou des signes de douleur, c’est que la jeune fille simule. Une fois qu’elle est en mesure de subir des possessions régulières, la jeune fille est peu à peu réhabituée au monde extérieur. Pour finir, sa famille doit la racheter, pour rembourser les animaux sacrifiés et tout le matériel nécessaire à son initiation. Au fil des années, le medium se spécialise dans un certain aspect de la macumba, comme la préparation des bains ou les sacrifices d’animaux.

Comment fonctionne l’oracle de la mère des dieux ? À l’instar des procédés de géomancie, la mère des dieux pose une question précise et lance des petits coquillages dans un cercle ; leur manière de retomber indique la réponse (s’ils sont sur le dos ou sur le côté intérieur, s’ils forment certaines figures, etc.). Un oracle ne peut être utilisé que par une femme.

Protection et guérison

Parallèlement aux cérémonies, les fidèles font souvent appel à la mère des dieux pour résoudre un problème ; à l’aide de manipulations adéquates et de sacrifices sanglants, elle y parvient presque à chaque fois.

Quand le malheur s’acharne sur quelqu’un, elle l’exorcise. Par exemple, un homme perdit un jour tout son bétail dans un terrible accident ; peu après, il fut atteint d’une maladie grave, pour voir finalement sa ferme entière être détruite par un incendie ; la mère des dieux a exorcisé le mal qui était en lui et sa vie a pu reprendre un cours normal et agréable.

La mère des dieux peut aussi bénir et protéger un lieu : elle y déambule avec un encensoir jusque dans les moindres recoins et installe ensuite sur la porte d’entrée une « figa », c’est-à-dire une statuette représentant une main tendue comme une pointe. Si un ennemi menace férocement la demeure, elle plante alors dans la porte un couteau acéré.

De manière générale, pour déjouer un mauvais sort, le moyen le plus simple est de le dévier (par un sacrifice, par exemple). Si quelqu’un souffre d’une maladie mortelle, qu’il achète un petit animal, comme une tortue, et qu’il le frotte contre lui. Le mal est alors reporté sur l’animal et à sa mort, la personne est délivrée et guérie. Un autre phénomène curieux démontre que les animaux ont des dons occultes : au Brésil, de nombreux chiens affamés passent devant des offrandes alimentaires destinées aux dieux et ils n’y touchent pas ; ils sentent que mourir de faim est préférable à la vengeance d’un dieu.

Umbanda et Qimbanda

L’Umbanda est la magie « blanche », bénéfique, qu’on pratique dans les terreiros. La Qimbanda est la magie « noire », c’est-à-dire qui vise à nuire à autrui par un sortilège de maladie ou de mort. Pour assouvir un tel dessein maléfique, on paie une prêtresse de Qimbanda. Elle prépare alors un rituel où elle agit sur la victime au moyen d’un de ses objets personnels, de ses cheveux ou de ses ongles ; elle invoque Exù, un dieu représenté par un phallus en érection qui prend souvent la forme du diable et qui est réputé pour être exhibitionniste et ivrogne lors des cérémonies. Avec son aide, elle fait subir à l’objet le sort qu’on réserve à son possesseur, qui s’en trouve aussitôt affecté.

Pour défaire un tel mauvais sort, on somme Exù de dévoiler la nature du travail de Qimbanda et on le prie d’annuler son action ; comme il n’est pas profondément méchant, il accepte généralement. Le sort revient alors sur celui qui l’a lancé…

Le vampirisme

Pour terminer ce chapitre sur la macumba, lisons un témoignage d’une mère des dieux sur le vampirisme : « L’homme, surtout, est un grand consommateur d’énergie. Crois-tu au vampirisme, mon fils ? J’ai vu à la télévision un film dans lequel un homme suçait le sang d’un autre. Si l’on considère le sang comme le support essentiel de l’énergie, l’image est assez juste. Les hommes passent leur temps à se sucer leur énergie les uns les autres. Il y avait dans mon terreiro un bon medium, une jeune fille qui possédait de grands pouvoirs. Un jour, elle s’est mariée, et petit à petit, ses dons ont diminué. Elle a dû cesser de pratiquer à nos cérémonies. Elle est revenue me voir il y a environ un an. Une vraie morte-vivante. J’ai pensé à ce film de la télévision. Elle semblait avoir été vidée de son sang. Elle venait me demander conseil. Elle ne savait plus que faire. Son mari la trompait et menaçait de la quitter. Elle n’avait plus d’âge et s’était arrêtée dans le temps. Ses yeux étaient hagards et sans expression. Elle ne dormait plus la nuit et se bourrait de somnifères. – Qu’avez-vous fait pour elle ? Certains êtres, hommes ou femmes, sont de la race des vampires. C’est-à-dire que pour subsister, ils sont forcés de se nourrir de l’énergie des autres, pas par méchanceté ni pour faire le mal, pis : par nécessité. Le mari de cette femme avait proprement « vécu sur elle », il lui avait sucé toutes ses forces. À présent qu’elle n’en possédait plus, il se tournait vers une nouvelle victime. J’ai « lavé » la femme, je l’ai purifiée, je l’ai renforcée. Deux de nos initiées l’ont emmenée à une source proche de notre terreiro, là-haut, sur la colline, elles ont trempé sa tête dans l’eau vive. Nous avons sacrifié une chèvre sur son corps, nous l’avons frottée avec les herbes de son dieu, nous l’avons rendue à elle-même, nous lui avons redonné la vie. Il fallut se comporter avec elle comme avec un enfant, elle était morte et elle venait à peine de renaître. Nous lui avons réappris les gestes essentiels de la vie, à manger, à boire, à dormir. Aujourd’hui, elle est de nouveau une femme heureuse. – Et son mari ? Oh, pour lui, c’était différent. Je lui ai demandé de venir nous voir. Au début, il était effrayé, mais il eut trop peur de désobéir à une mère des dieux. Il voyait les changements par lesquels passait sa femme et il se doutait bien que j’y étais pour quelque chose. Finalement, il vient un après-midi. Je lui ai expliqué la situation. Sa femme était une fille de mon terreiro, je devais intervenir en sa faveur. Je devais soit lui jeter un sort, barrer son chemin de telle manière qu’il ne puisse plus faire de mal, soit le traiter dans mon terreiro, lui apprendre à être capable de se fournir lui-même en énergie vitale. Il choisit naturellement la seconde solution. Il vint ici nous voir une fois par semaine. Il se fit initier et tout rentra dans l’ordre. »[3]

Le vaudou d'Haïti

Qu’est-ce que le vaudou d’Haïti ?

En dialecte africain, le mot « vaudou » signifie « esprit ». Le vaudou d’Haïti est très semblable à la macumba. En voici quelques croyances fondamentales : l’eau est la première matière ; le premier homme était androgyne ; au-dessus des esprits, il y a un dieu, le « Grand Maître », qui est l’ordre du monde, son grand architecte.

Passons en revue quelques caractéristiques de ce vaudou : les rêves y sont omniprésents et on les interprète chaque matin. On pratique la lévitation : il arrive de voir les gens voler dans le ciel ; les hommes volent à grande hauteur et les femmes plus près du sol. Les dédoublements sont fréquents, surtout grâce à l’effet du peyotl. Dans une de ses lettres, Emmanuel d’Hooghvorst évoque cette espèce de petit cactus sans épines : « Il y a des champignons indiens analogues au peyotl qui provoquent des voyances remarquables. Je crois qu’il serait possible d’avoir ce produit qui est, paraît-il, sans danger… Pour moi, je crois que cela m’est interdit, sinon j’essaierais. L’absorption des champignons m’a été interdite par mon moi profond… Évidemment, la pratique des champignons est un truc de souffleurs. Mais je me demande si dans certains cas, il ne faut pas souffler un peu… »

Les cérémonies

Les cérémonies de vaudou d’Haïti et de macumba sont presque identiques, à l’exception de quelques petites variantes :

- Les cercles magiques sur le sol ne sont pas faits à la craie mais à la farine de maïs.

Les cérémonies sont précédées d’un repas.

L’objet principal de la mère des dieux est une sorte de calebasse surnommée « açon ».

Les sacrifices de gros animaux comme le taureau sont réguliers.

L’apparition de stigmates et la glossolalie[4] sont fréquentes chez les mediums.

Des animaux peuvent aussi être possédés par des dieux.

Dans le vaudou d’Haïti, il existe en outre des rituels autres que les cérémonies traditionnelles de possession de plusieurs mediums par des esprits. Par exemple, il n’est pas rare d’organiser une fête avec la famille d’un mort pour ramener son esprit. Ce dernier en profite très souvent pour se plaindre de la mauvaise répartition de son héritage… Il y a aussi des baptêmes d’enfants qu’on plonge dans des bains d’herbes et même dans le feu ! En outre, il arrive qu’on célèbre un mariage entre un humain ordinaire et un esprit, qui possède alors un autre corps pendant tout le temps de la cérémonie…

Dans le livre « Vaudou, un initié parle… », une cérémonie définie comme « banale » nous est décrite par un spectateur. Malheureusement, si la macumba est assez accessible, les réunions de vaudou sont plus secrètes et aucune explication n’est donnée sur cette scène époustouflante. Citons le passage en question : « J’étais donc sur le sommet d’une montagne, à moins de trois mètres du poteau autour duquel la foule était rassemblée, et voici ce que je vis : on avait amené un bouc noir et un cochon et on les sacrifiait. Je l’ai dit, dans le vaudou, les sacrifices dégagent toujours une grande impression de noblesse : aucune cruauté inutile, mille attentions, au contraire, pour l’animal à qui on va trancher la gorge et qui semble s’offrir délibérément au couteau. Ici ce fut pénible : le cochon et le bouc étaient traités comme des ennemis sur lesquels il s’agit d’exercer une vengeance terrible. Frappés, poignardés, lacérés, leurs cadavres furent pendus au poteau central. Puis, une femme âgée se pendit à son tour, tranquillement. On lui présenta une longue corde, elle y fit un nœud coulant et la passa autour de son cou. Puis elle alla chercher une chaise sur laquelle elle monta. Elle fixa soigneusement l’extrémité de la corde au poteau se lâcha dans le vide. Elle ne pendait pas à grande hauteur, mais je puis affirmer que ses pieds ne touchaient pas le sol, qu’ils étaient distants de près d’un demi-mètre. D’ailleurs, après quelques soubresauts, elle eut tous les symptômes de la strangulation : visage violacé, langue pendante. Ce n’était pas un spectacle beau à voir. Les trois cadavres restèrent ainsi accrochés un bon moment, peut-être un quart d’heure. Alors, quelqu’un coupa les cordes et ils tombèrent sur le sol, flasques et inertes. Ils étaient pratiquement à mes pieds et j’eus tout le loisir de les observer. Il n’est pas facile de contrefaire la mort. Il ne suffit pas de s’allonger et de retenir son souffle : les comédiens en savent quelque chose, qui, jamais, ne parviennent à nous faire croire que la vie s’est retirée de leur corps. […] Ces trois-là, j’aurais juré qu’ils avaient passé le cap, que rien ni personne ne pourrait les ranimer. Cependant, d’un bond, ils se relevèrent. En un éclair, ils furent sur leurs pieds ou sur leurs pattes et ils se mirent, il n’y a pas d’autre mot, à danser. […] Ils faisaient une sorte de ronde autour du poteau, suivant fidèlement le rythme des tambours que la foule accompagnait en chantant et en battant des mains. Lorsque le silence revint, le bouc, le porc et la vieille femme s’effondrèrent à nouveau. Cette dernière fut ranimée comme on ranime une « houssni » après une possession très forte : on l’assit sur sa chaise, on l’appela par son nom avec insistance et on lui donna à boire. Quant aux animaux, ils ne donnèrent plus aucun signe de vie. On les découpa, en commençant par les testicules qu’une femme, « montée » par un esprit d’une grande violence, mangea tels quels. Le reste fut mis à cuire dans de grands chaudrons. Tout cela prit un certain temps, l’exaltation qui avait soulevé l’assistance sembla retomber. Mais ce répit ne dura pas. Un homme de grande taille, très maigre, fut à son tour « chevauché ». À une certaine distance, un bûcher était disposé. À sa demande, on y mit le feu. Le bois était sec et en grande quantité, il ne tarda pas à ronfler et à crépiter. Cela parut sans doute insuffisant : des hommes y déversèrent plusieurs bidons d’essence et de pétrole. Les flammes montaient si haut qu’on devait les voir à des kilomètres. En plein milieu du brasier, on avait planté une barre de fer qui fut vite portée au rouge. Le possédé alla la chercher. Lorsqu’il revint parmi nous, la tenant entre ses mains nues, la chaleur était si forte que l’assistance tout entière recula. »[5]

Cœur de Lion


[1] Ces « dieux » de la macumba désignent en fait des esprits ancestraux d’Afrique noire, comme nous le verrons plus tard (cf. infra, p. 119).
[2] Ces « danses » sont probablement à rapprocher de ce qu’on appelle la capoeira, un art martial afro-brésilien de l’époque de l’esclavagisme dans les plantations au Brésil, où les Noirs mélangeaient danses et techniques de combat africaines.
[3] Serge Bramly, Macumba, Forces noires du Brésil, Albin Michel, paris, 1981, pp. 174-176.
[4] La glossolalie, du grec ancien γλῶσσα / glỗssa, « langue » et λαλέω / laléô, « parler », est le fait de parler ou de prier à haute voix dans une langue ayant l'aspect d'une langue étrangère, inconnue de la personne qui parle, ou dans une suite de syllabes incompréhensibles.
[5] Claude Planson, Vaudou, un initié parle…, Jean Dullis Éditeur, Paris, 1974, pp. 255-258.
 

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