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  • Irénée Philalèthe | Bref Manuel pour obtenir le rubis céleste | Traduction inédite
 

Bref manuel pour obtenir le rubis céleste

Brevis manuductio ad rubinum caelestem

Il s’agit ici d’un traité d’Eyrénée Philalèthe, recopié à la main par Charles d’Hooghvorst, certainement d’un manuscrit de Louis Cattiaux ou de Serge Lebbal, lui-même vraisemblablement copié à l'Arsenal. Nous ne savons de qui est la traduction française. Le texte se termine de façon étonnante, et paraît inachevé, mais la version latine publiée à Francfort en 1677[1] présente la même forme.

De la Pierre Philosophale et de son Secret

La Pierre des Philosophes est une substance céleste, spirituelle, pénétrante, fixe, convertissant tous les corps en véritable or et argent par sa qualité de médecine ; ayant été soumise à toute épreuve, et cela par l’imitation de la nature et de ses opérations, de façon aussi proche que possible.

L’art de la Chimie tourne autour de cette substance, il traite et instruit du mode et de la voie de cette conversion. Cette chose se fait, non par diverses choses, mais par une seulement, à laquelle rien n’est à ajouter ni à enlever, mais tout superflu est à écarter.

Quant au bon droit de cet art, l’expérience réussit à convaincre les hommes de cette chose excellente, car si l’on prouve que par cet art on peut faire de l’or véritable, cela ne sera alors nullement mis en doute, tant par justice que par utilité.

Il est évident que par ce moyen, les métaux imparfaits sont transmuables ; parce que tous jusqu’au dernier furent destinés à la perfection ; mais beaucoup sont demeurés imparfaits à cause du manque de digestion. Donc, s’ils peuvent être dûment cuits, ils seront perfectionnés, puisque rien dans la matière ne vient diminuer cette perfection. Bien que tous les métaux soient venus d’une seule source, du mercure cru, frigide et humide dans lequel il n’y a nulle différence entre Soleil et Saturne, toutefois, après que la nature a opéré en cette matière, la cuisant plus ou moins, par ce seul moyen la diversité se fait. Tous les métaux peuvent donc être convertis en Soleil par l’œuvre de notre divin et très parfait magistère qui, projeté sur les métaux imparfaits, réussit à les perfectionner en les cuisant, d’autant plus que lui-même possède à l’excès cette due perfection qui est requise dans l’or. [p.2]

C’est pourquoi on peut ici faire remarquer quelle est sa vertu, et combien spirituelle est la nature de notre pierre divine. Celle-ci, par simple projection peut accomplir à la surface de la terre ce que la nature ne peut nullement accomplir en ses opérations souterraines. Par là on découvrira clairement tout ce que peut faire la nature aidée par l’art.

Si notre Pierre était parfaite comme de nature, sans le secours de l’art, elle ne serait que de vertu unaire, mais acquise par artifice, la nature coopérant et administrant par un seul régime, elle est décuple ; c’est-à-dire en quelque sorte infinie puisqu’on ne peut la calculer.

 Car en dissolvant d’abord, et de nouveau coagulant et cuisant, une partie de la médecine tombant sur mille parties de métal imparfait se trouve parfaitement pénétrante et tingeante. Mais si par dissolution et coagulation répétées tu tentes de pousser plus cette médecine, voici qu’elle tend déjà vers l’infini, et l’esprit te manquera alors pour calculer la vertu tingeante et pénétrante de l’Élixir. Non pas qu’une partie infime de l’Élixir multiplicateur teigne ainsi toute la masse par un contact matériel immédiat, mais elle la pénètre toute par sa vertu et son influx, puisque la plus petite particule du corps imparfait est atteinte et teinte immédiatement par la médecine.

La chose se passe de la manière suivante : chaque partie est teinte par la partie contigüe comme par un fragment d’Élixir [qui][2] teint donc ce qui le touche de plus près. Et ce n’est pas assez qu’il fournisse et imprègne de teinture une plus faible que lui-même. Celui-là à son tour fermente en communicant la teinture à ce qui est proche de lui, et ainsi aussi longtemps qu’il faut pour que toute la masse soit conduite à la perfection de l’or véritable ; mais cela se fait en un court espace de temps à cause de la spiritualité de notre agent qui agit comme un véritable feu métallique non différent de l’élémentaire, qui pénètre et échauffe imperceptiblement les corps les plus durs, quels qu’ils soient et même les parties qui ne seraient pas touchées par les charbons.

Ainsi, ici il pénètre, envahit et teint en un moment les métaux dissous et fondus par le feu, comme on observe souvent dans une pâte qu’on met à fermenter avec un ferment, et même dans la partie la plus extérieure, que la partie corporelle du ferment ne peut atteindre. Cela se fait non autrement et par la même opération. Observe donc combien naturel est notre procédé dans cet ouvrage, car nous [p. 3] ne déclarons pas ce que beaucoup de faux accusateurs nous objectent que nous créons de l’or, ou de l’argent, mais nous disons que ceux-là dans lesquels ils existent naturellement, c’est-à-dire les métaux qui sont de même matière que l’or ou que l’argent, mais de digestion inégale, et qui pour cette raison demeurent imparfaits, nous les digérons par la projection de notre arcane sur eux, et par ce moyen nous les rendons parfaits ; car pour opérer ce perfectionnement rien d’autre n’est requis que cette décoction de leur crudité, ce que donne abondamment notre médecine.

C’est pourquoi, ô vous fils de la Doctrine, suivez-moi parce que très certainement je vous manifesterai tout l’arcane de cette Pierre, qui n’est pas pierre, et il est en tout homme, et vous le rechercherez en tout temps et en tout lieu. Si vous l’obtenez, vous avez la chose la plus précieuse du monde. Le divin existe vraiment, mais il ne doit pas être communiqué à tous ; je vous manifesterai toute la chose à vous, fils de la Doctrine, et je ne retiendrai rien de nécessaire à ce magistère ; mais soyez présents dans vos esprits, attentifs, et écoutez mes paroles et gardez-les avec un cœur élevé. Tu as entendu parler auparavant de la possibilité de la transmutation ; qu’une chose destinée à la perfection demeurée imparfaite par défaut de décoction, par l’application d’un agent semblable en essence et en nature au parfait auquel cet imparfait était destiné, mais de plus grande perfection, peut être amené à maturité, d’autant plus que l’agent est plus parfait par sa maturité et sa vertu exubérante.

Telle est notre Pierre pour tous les métaux imparfaits, quels qu’ils soient. D’où nous établissons hors de controverse que par elle ils sont transmuables en or et en argent. Remarquez donc bien, amateur de Sagesse, quoi et quel cela doit être, qu’est-ce qui réussit à le donner, qu’est-ce qui est dit pierre par les Philosophes ; mais il est en tout homme et en toutes choses et aussi en tout temps de l’année, il doit être recherché en son lieu.

Remarquez les paroles, signalez les mystères, parce que très certainement il consistera en les éléments, car rien n’est plus universel qu’eux, et de ceux-là non simples mais composés et combinés, c’est-à-dire que chaque élément se reconnaît par sa [p.4] propre qualité qu’il porte avec soi. Donc en toute chose, c’est-à-dire en tout élément, est notre pierre : car si l’un d’eux, quel qu’il soit, est détruit, l’auréité disparaît.

Ne soyez donc sollicités par aucune chose combustible au feu, car certainement ce qui est fait de toute chose, c’est-à-dire ce qui contient les forces ou qualités combinées de chaque élément, résiste sans péril à la violence du feu.

Ô vous, fils de la Doctrine ! Voici que je vous révèle un grand secret. Que Dieu vous aide à cacher cet arcane à tous les indignes ! Notre Pierre ne tire pas son origine d’ailleurs que des métaux, directement, et des plus parfaits, mais vous laisserez le vulgaire opérant dans cet art la chercher en toutes choses étrangères, mais vous qui êtes amateurs de vérité, n’allez pas faire d’investigations ailleurs que dans les métaux, car un, et même unique est notre vrai principe mais [grand espace vide : manque dans l’original ?] et de ne rien introduire d’hétérogène dans cet œuvre, mais de laisser cela à ceux qui cherchent notre pierre dans de telles choses. Mais ils travaillent toujours en vain tant qu’ils ignorent ce qui constitue notre unique et véritable principe.

Je vous signale ceci : souvenez-vous que le lion du lion, l’homme de l’homme est engendré et qu’il serait absurde et ridicule d’attendre qu’ils soient engendrés par d’autres. De même les combustibles sont produits des combustibles, les choses éternelles des éternelles. Croyez-vous récolter les raisins des tribules ou des roses des sauvageons ? Car il serait absurde de joindre quelque chose tiré des animaux, des herbes pour en fabriquer notre Pierre, comme si ailleurs que dans l’or, le principe d’aurification devait être cherché. En de telles choses donc, notre Pierre ne doit pas être cherchée, qui doit porter les propriétés naturelles de l’or véritable ; lesquelles ne sont pas en des choses de ce genre et ne sont pas atteintes par ce moyen à moins que nous ne voulions créer des semences, ce qui n’est le propre d’aucun hommes, mais de Dieu seul ; et si quelqu’un se promettait de faire cela, il serait faux et menteur. Qu’il nous suffise donc de disposer et d’administrer les semences qui sont préparées pour nous, à portée de notre main. Quant à en créer de nouvelles de choses hétérogènes, c’est inutile, et de fait est impossible. Si cela pouvait être fait, ces semences artificielles ne seraient en rien plus puissances que celles de la nature, que nous avons toutes préparées [p. 5] par la nature pour notre œuvre.

Aussi ne sont-ils nullement à croire ceux qui déclarent vouloir produire les semences des métaux, d’herbes et d’autres choses semblables ; car si magnifiquement qu’il en impose à des plus ignorants par le titre de Philosophe et d’artiste habile, toutefois, comme il ignore celles qui sont créées, il est probable qu’il peut encore bien moins créer de nouvelles semences. Donc quiconque veut devenir fils de l’art, qu’il proclame et reconnaisse que notre Pierre, le transformateur des métaux en une espèce parfaite, est intimement incluse et contenue dans les métaux les plus parfaits, qu’il se souvienne donc de dire qu’elle est produite d’eux et non d’autres.

Maintenant donc tu as suffisamment, ouvertement et sans tromperie entendu où il faut quérir la nature d’une pierre si mystérieuse, et si vous avez bien appliqué votre esprit, il n’arrivera plus que vous erriez à ce sujet.

Maintenant, nous dirons quelque chose de son nom, car on a déjà expliqué comment elle se trouve en tout lieu et en tout homme. Comment et pourquoi elle est appelée pierre et non pierre, je l’enseignerai. À la fin, comment elle doit être obtenue, je l’esquisserai. Le Philosophe dit en effet, qu’elle est une pierre et non pierre, ce que beaucoup et le vulgaire presque toujours, comprennent de travers. Car il interprète à la lettre, pensant que c’est quelque chose qu’il ignore sans doute, mais ayant la forme d’une pierre et teignant quoi que ce soit par son contact même, en or éprouvé, qu’elle soit de bois ou de pierre, il la tient pour très fausse, et cela avec raison, aussi la juge-t-il impossible à faire pour tout art, si ce n’est un art diabolique. C’est pourquoi, le nom de chimiste entendu, il l’abhorre aussitôt et le tient en abomination, et ne l’estime pas autrement que comme un impie et insensé gaspilleur de ses biens, incité à cela par cette fausse et confuse compréhension de notre très secrète pierre au point que les plus grossiers croient superstitieusement que de tels hommes doivent être punis par le droit civil.

Mais sous ce nom de grossiers, je n’entends pas seulement les plébéiens illettrés et frustres, mais encore plusieurs et même beaucoup d’hommes très doctes en un autre sens et peut être même preux[3] ; je [p.6] les nomme grossiers parce qu’ils sont incultes et ignorants en cet art et ils sont incultes à ce point doués de mœurs grossières qu’à la façon des chiens ils aboient contre ce qu’ils ne connaissent pas ; et médisent des choses que jamais ils n’ont conçues et pourront concevoir en leur esprit. Je les ai en grande répréhension parce qu’ils font, des doctes et pieux, ce qui est aussi contraire à la piété qu’à la science, car ils jugent, et de telles choses qu’ils ne discernent ni ne réussiront à discerner. Car comme le prescrit la science et le conseille la piété, que celui qui juge pèse et examine, eux au contraire condamnent sans conteste, et après avoir condamné, ils ignorent encore ce que c’est, ce qui est très indigne de tout Philosophe. D’autres encore zélés dans l’art de la chimie, bien qu’ils comprennent la chose un peu plus naturellement, errent cependant parce qu’ils veulent faire une congélation en forme de pierre, en sorte qu’ils confectionnent quelque chose de cette sorte, alléguant à cela les paroles des Philosophes, qui affirment que c’est une pierre.

Mais je voudrais que vous compreniez que cela est dit pierre non parce que cela ressemble à une pierre, mais pour cette cause seulement que cela ne s’enfuit pas au feu et demeure fixe en lui ; tout comme si c’était de la pierre. Et pour cette raison appelée pierre par la grâce d’un secret que l’on doit cacher. Mais en nulle autre chose n’a de rapport avec la pierre et même par son espèce n’est pas une pierre, mais de l’or plus pur que le plus pur ; par sa fixité ou incombustibilité elle est pierre ; par sa forme, poudre très subtile. À la vue c’est un corps pesant ; au toucher, impalpable ; au goût, doux ; à l’odorat, bien odorant. Par sa vertu, esprit très pénétrant, estimé sec, et pourtant onctueux ; coulant facilement sur une lamelle de métal et la teignant.

Aussi est-elle appelée avec justice père de toutes les merveilles. Elle a en elle tous les éléments en un seul ; toutefois ils sont rassemblés de telle sorte qu’aucun ne prédomine, mais que tous les quatre constituent une cinquième essence ou nature, qui n’est aucune des quatre mais participe de toutes ; et elle est de complexion très tempérée bien qu’elle soit pur feu métallique, et c’est là notre Pierre qui n’est pas une pierre, et qui n’a en propre aucun nom, et toutefois il n’existe rien dans le monde entier dont elle ne puisse [p.7] sous quelque considération, recevoir le nom. Elle est de nature si admirable que, si nous disions qu’elle est spirituelle [une ligne vide] En raison de quoi elle est l’esprit ou la quintessence la plus noble de toutes créatures après l’âme raisonnable, réduisant toutes les maladies et toutes les imperfections tant dans les animaux que dans les métaux, par sa qualité de médecine à la modération la plus exacte et parfaite ; et c’est ici notre véritable microcosmos que nous estimons tant. Cette pierre ou poudre, ou quintessence obtenue, ne manqueront ni les richesses ni la santé ; avec la permission de Dieu à qui soit gloire dans le siècle.

Mais j’arrive à la dernière partie de la charge que j’ai contractée, c’est-à-dire que je montrerai par quel moyen notre Pierre peut être obtenue, car il ne faut pas la chercher toute fabriquée par la nature, mais il faut la composer par l’art et par l’ingéniosité de l’artiste. La nature toutefois aidant et nourrissant l’œuvre, car comme on l’a assez abondamment déclaré, la matière de cette pierre ne doit pas être demandée à autre chose qu’aux métaux ; néanmoins ces métaux ne sont pas notre Pierre. Toutefois, que de ceux-là on doive tirer notre médecine, je ne le nie pas, mais pour l’en tirer, il est nécessaire de faire disparaître la première forme du métal, et cela avec conservation de l’espèce bien qu’avec destruction de ce métal particulier et individuel. Mais l’espèce métallique habite et est conservée dans l’esprit ; lequel esprit ne réside pas ailleurs que dans l’eau homogène de son propre genre. Car l’eau est en effet l’habitacle de l’esprit, qui dans la conservation de l’espèce doit être retenu premièrement.

Ainsi la forme de l’or doit être changée et cela dans une eau homogène de son genre en laquelle est conservé l’esprit de l’or, qui après épaissit de nouveau son eau, et amène après putréfaction une forme nouvelle plus parfaite mille fois que la forme de l’or, laquelle il a perdu en recuisant. Les corps métalliques sont donc à réduire en une eau homogène ne mouillant pas les mains, afin que de cette eau nouvelle on obtienne l’espèce métallique de beaucoup plus noble que tout métal. C’est là notre médecine très précieuse et notre Rubis céleste[4]. Mais toute l’œuvre répond excellemment à [p.8] l’opération naturelle souterraine. D’où elle est avec raison appelée œuvre naturelle. La nature en effet, du seul mercure froid et humide en le digérant et cuisant assidument dans les veines de la terre produit les métaux suivant les espèces, mais l’art pour abréger l’œuvre trouve une opération beaucoup plus subtile semblable toutefois à celle-ci. Au cru, frigide et humide, il joint de l’or mûr pour le dissoudre, et il obtient de ces deux par commisération et secrète conjonction un unique qu’il nomme eau de Vie. Lequel ils réduisent par la cuisson en or ; non celui du vulgaire mais beaucoup plus noble ; lequel se projette sur des métaux imparfaits quelconques et les teint en or véritable soumis à toute épreuve. Comprenez donc comme je le crois, que bien que de l’or seul notre Pierre soit faite, elle n’est cependant l’or du vulgaire, notre or est tiré, il doit être dissous dans une eau non élémentaire ne mouillant pas les mains, c’est-à-dire minérale.

Cette eau est , qui extrait du serviteur rouge a en soi ce que l’œuvre entier accomplit sans aucune imposition des mains. Et cette eau est ce principe unique, véritable et naturel, auquel rien ne doit être ajouté, ni retranché, ni diminué si ce n’est le superflu, ce que la nature fait sans aucun secours humain par sa propre force et par son instinct.

Toi donc, ce obtenu, n’aie souci de rien : « Que tout ton zèle s’applique à digérer le . » Pour moi je te dis : « Que tout ton zèle s’applique à obtenir le ; c’est-à-dire à blanchir notre laiton rouge. » Cela fait, tu as fait ce qui est bien. Quant au reste ce n’est qu’ouvrage de femme et jeu d’enfant ; car la nature aura vite fait d’achever le reste. Pendant ce temps le repos le plus désirable t’est donné, car comme le dit le Philosophe, il est plus désirable que tout travail.

Car sache que ce n’est pas une œuvre légère que celle de notre albification, radicale assurément, car ce sera certainement un indice de la réduction et de la transformation du corps et jamais l’or ainsi blanchi ne retournera en sa première forme ; car par cette opération on a fait du corps l’esprit, et du fixe le volatil. Aussi applique toutes tes forces à blanchir le laiton [p.9] car il est plus facile de faire de l’or que de le détruire ainsi. En effet, celui qui dissout de la sorte congèle plutôt, car la solution des corps et la congélation de l’esprit coïncident ; mais considère, ô fils de la sagesse, et note ces mystères : tout ce qui dissout est esprit et tout ce qui coagule est corps.

Si donc vous voulez dissoudre les corps, il vous faut d’abord une substance spirituelle, parce que le corps ne pénètre pas le corps pour le dissoudre, mais l’esprit y entre, le subtilise, le raréfie. Et puisque vous désirez obtenir de l’eau, l’eau vous est donc nécessaire pour le manifester, car tout agent exerçant quelque action sur quelque chose s’assimile cette chose autant qu’il est possible ; et tout effet naturel est conforme à la nature de la cause. Ainsi l’eau est nécessaire pour faire sortir l’eau de la terre. Mais je n’entends pas par eau, comme plusieurs l’estiment à tort, les eaux fortes, eaux régales et autres corrosives que le vulgaire des alchimistes se fabrique artificieusement, afin de dissoudre en elles les espèces métalliques, que toutefois elles ne dissolvent pas, mais corrodent, avilissent et corrompent. Qui en effet croira que ces eaux peuvent détruire la forme primitive du métal tout en conservant l’espèce métallique, elles qui sont si étrangères à la nature métallique. Car elles ne sont pas assez efficaces en sorte qu’elles détruisent profondément les espèces, les convertissant en leur propre nature différente, mais en tout ce qu’elles peuvent faire, elles les transforment en quelque chose de sordide, car plus les corps sont corrodés, plus ils s’éloignent de l’espèce métallique.

Mais notre eau est l’eau de mercure et elle dissout les corps en mercure et elle se joint inséparablement à ce qu’elle a uni, cohabite et cuit avec eux, de façon à en faire ce tout spirituel unique qui est désiré ; car tout ce qui dissout naturellement quelque chose de façon que l’espèce de la chose dissoute soit conservée, demeure avec la chose dissoute matériellement et formellement et se développe avec elle et est épaissie par lui, et le nourrit, comme on voit dans le grain de froment, parce que quand il est dissous par la vapeur humide terraine, cette vapeur demeure comme humide radical et avec les grains se développe en plante.

[p.10] Il faut observer, et aussi dans toute autre dissolution naturelle, que comme une dissolution de ce genre est une vivification de ce qui est mort, cela ne peut être réalisé par rien d’autre que par quelque chose de vif sorti de l’essence du mort avant qu’il soit mort. Dans le grain est une vie (je dirai mixte) que nous voulons vivifier. Cela donc ne peut être vivifié par rien d’autre que par la vapeur de la terre et par le chaud humide du ciel ; car le grain lui-même a été extrait de la terre, et il n’était rien autrefois autre que une vapeur de ce genre, qui après décoction est morte, donc par elle seule il peut naturellement être vivifié avec conservation de l’espèce. C’est pour cela, écrirai-je que tant d’hommes doctes sont tant déçus par le vulgaire, bien qu’il soit une eau minérale, il n’est pourtant pas semblable à l’or en nature ou en essence.

Qui en effet ne reconnaîtra que si un grain de blé est jeté dans un marécage ou cependant les joncs poussent d’habitude, il ne germera ni ne croîtra. D’où je demande si l’humeur aqueuse n’est pas essentielle ni semblable en nature au grain de blé, elle ne le dissout pas selon la nature, mais le détruit. De même l’or, s’il est mêlé pour être digéré, à l’argent vif vulgaire ou à d’autres qui ne sont pas seulement sa propre humidité, il ne se produit pas en eux de solution parce que ses eaux trop crues, frigides et immondes sont de beaucoup différentes de l’or en nature. C’est pourquoi il n’est pas amendé en elles et il ne les retient pas, il ne les mûrit pas avec elles en une perfection beaucoup plus noble. Aussi votre n’est-il pas celui du vulgaire. C’est une eau pure, monde, claire, nette et resplendissante et la plus digne d’admiration. Elle est crue, frigide et non mûre, chaude, et digeste, à l’égard du vulgaire, qui n’a aucune de ces qualités excepté sa couleur blanchâtre et sa forme de fluide, et en celle-là même il y a de grandes différences.

Donc afin que tu comprennes parfaitement quelle est notre eau par ses particularités, je te dirai, mû en cela par la charité, qu’elle est vive, fluente, claire, nette, très blanche comme la neige, chaude, et aussi humide, aérée, vaporeuse et digérante. En elle l’or se liquéfie comme la glace dans l’eau tiède ; en elle est contenu le régime du feu et le soufre qui en elle existe et n’est pas dominé. C’est là vraiment ce gardien merveilleux, le bien [p.11] du Roi et de sa Reine, chauffant assidûment et de façon incessante. Et toutefois il n’est tiré de rien d’autre que de la matière, et il est distinct de la substance blanchissante de l’eau. Il lui est toutefois conjoint et sous cette même forme de flux et sous cette même couleur il apparaît. C’est ici cette chaleur de lampe qui si elle est tempérée, circule quotidiennement autour de la matière jusqu’à ce que l’humide étant desséché par la calcination, un second feu de cendres soit produit, dans lequel le vase ou l’eau soit hermétiquement clos et scellé selon le dire du Philosophe : prends le vase, frappe avec le glaive, prends son âme, elle est la fermeture.

C’est pourquoi notre eau est notre vase et en elle habite occultement notre fourneau, dont il convient que l’ignition soit modérée afin que l’œuvre entière ne soit pas détruite ; assez forte pourtant pour qu’elle ne languisse pas par défaut de chaleur. C’est pourquoi en cette eau consiste tout le secret de notre vase ; et aussi la structure du fourneau mystérieuse est fondée sur la composition de cette eau. Dans la connaissance qu’on en a, tous nos feux, tous les poids, tous les régimes, sont compris. Cette eau est la fontaine claire, très transparente, en laquelle doit être lavé notre Roi pour réussir à vaincre tous ses ennemis. Sois attentif à cette eau et à sa préparation parce que certainement sans autre secours, que l’opposition du corps parfait, purgé, châtié, la nature fabrique avec elle notre très secrète Pierre. Et je te dis en vérité que cette eau est minérale, pure et monde et qu’elle ne peut être extraite de rien d’autre que de ces choses seulement dans lesquelles elle se trouve naturellement. Et la chose d’où elle est extraite d’une manière immédiate est cachée à tous ; de même que le mode d’extraction est très admirable et sa force étonnante.

En effet sans aucune peine elle dissout le Soleil et lui est favorable et le lave de toutes ses saletés. Elle est blanche, pure et limpide. Loué soit donc le très haut qui créa ce mercure et lui donna une nature qui surpasse toutes les autres ; car certainement sans cette eau l’œuvre alchimique serait vaine et inutile. Toi donc, prends garde à ce qu’est cette eau, et par l’œuvre apprends comment elle doit être faite. Ce obtenu [p.12] tu as la clef de tout l’art, quels que soient les endroits les plus secrets des Philosophes auxquels tu réfléchisses. Ainsi notre eau est très semblable en nature, dissemblable en substance à l’or, dans lequel on doit amener une très grande pesanteur. Considère donc et examine profondément la possibilité de la nature et n’introduis quoi que ce soit d’hétérogène ; car la nature par sa nature seulement est amendée et par aucune autre. Mais si tu n’as encore compris, veuille ne pas m’en rendre coupable, car sincèrement autant qu’il est permis à l’homme de parler, je t’expose toute la chose. Pour comprendre la conclusion de cette chose, n’en sois que plus attentif. Notre Pierre se fait d’une seule chose, et de quatre substances mercurielles dont l’une est mûre, les autres crues, pures ; dont deux sont par la troisième tirées de par un moyen admirable. Elles sont jointes par un feu tempéré non violent ; et ainsi cuites quotidiennement jusqu’à ce que de toutes il s’en fasse une seule par conjonction naturelle très secrète, non manuelle.

Après que la qualité du feu a été changée, elle est digérée par un feu croissant de jour en jour, plus faible au début et croissant ensuite chaque jour jusqu’à ce que le volatil devienne fixe, par une soufre de son genre, fixe et incombustible, jusqu’à ce que tout le composé obtienne cette même nature, fixité et couleur ; car alors sûrement il résiste au feu et il est cette force forte de toute force vainquant toute chose subtile et pénétrant toute chose solide, qui transformée en terre laisse voir toute sa puissance intégrale.

Mais pour décrire la chose à des amis particuliers, je dirai qu’il y a des multiples degrés à notre pratique ; ils sont au nombre de douze, que je parcourrai rapidement.

Le premier d’entre eux est dit calcination.

De la Calcination

La calcination est la première purgation de la Pierre, la dissécation de l’humidité par la force de la chaleur naturelle excitée par la chaleur externe de l’eau. D’où le composé est converti en chaux ou poudre de couleur noire, onctueuse toutefois, et gardant l’humidité radicale, la cause finale de cette calcination est de mieux conduire la solution de la Pierre, qui sans cela n’est pas possible, car l’or est un corps très fixe et il ne peut être immédiatement dissous par notre eau, sauf dans un seul cas, [p.13] s’il est amolli, digéré et blanchi. En ce blanchissement, deux natures apparaissent : la volatile et la fixe, que nous assimilons aux dragons et aux serpents. C’est pourquoi, pour que la dissolution soit complète il faut que par contrition le corps soit calciné afin de le rendre spongieux et visqueux, alors il est idoine à la solution.

La seconde cause finale, est celle-ci : de concilier les qualités contraires, car tant qu’elles luttent elles nous sont inutiles. En effet, dans la première conjonction, notre eau distingue entre  et , volatil et fixe. Ce sont là des ennemis mutuels et des choses différentes ; mais il nous appartient de les ramener à l’unité. Les qualités contraires ne sont conciliées que par un médium. Or il y a dans notre première opération quatre qualités contraires : chaleur, froid, sécheresse et humidité ; dont deux, le chaud et le sec sont attribuées au , et deux, le froid et l’humide, au . La chaleur du  et le froid du sont donc diamétralement opposées. Pour amener ces contraires à l’amitié, il faut un intermédiaire, cet intermédiaire sera participant des deux et conforme aux deux. Nous voulons nous concilier le chaud et le froid : l’intermédiaire sera pour cela la sécheresse, parce qu’elle peut être conjointe aux deux, tant à la chaleur qu’au froid ; c’est pourquoi il faut réduire le composé en terre. Déjà concordent en ce troisième le chaud et le froid, afin de pouvoir cohabiter. Ce degré atteint, il faut après dissoudre en eau, et les deux autres ennemis sont réconciliés : la sécheresse et l’humidité par le froid de l’eau, jusqu’à ce que des deux, un soit fait par conjonction après la séparation naturelle. L’efficient de cette calcination est l’opération de la chaleur dans l’humidité convertissant tout ce qui lui résiste en poudre très subtile ; mais l’instrument mouvant est le feu contre les natures inclus dans notre eau dissolvante ; excitant la chaleur dans le corps et digérant l’humidité en poudre visqueuse ou onctueuse. Mais cette opération première se fait par dissolution.

Sache pourquoi : d’abord parce que auparavant se fait une certaine solution par le moyen de notre eau divine. C’est pourquoi la congélation des esprits sera nécessairement attendue dans un temps proche, parce que les esprits sont toujours congelés après la dissolution du corps s’ils ont subi cette même opération. Donc, telle solution, telle on doit attendre après la congélation. De plus l’ordre de la [p.14] nature postule cela : la femme exerce d’abord son empire. Il faut qu’elle soit vaincue par son époux, mais la femme garde toute sa domination dans l’eau ; donc le premier travail de l’homme qui manifeste sa force sera d’abord de vaincre ce en quoi la femme possède deux de ces qualités. Enfin la chaleur n’est pas nécessairement jointe de façon consécutive à quelque qualité, mais la sécheresse de la chaleur sera toujours le but. L’homme doit d’abord manifester ses forces, donc la calcination constitue droitement le commencement de l’œuvre. La calcination est donc la tête de l’œuvre, car sans elle rien ne se fait, ni commixtion, ni union. Aussi est-elle à faire dans les premiers jours de la Pierre. Car dans le premier blanchissement, le corps est réduit en ses deux principes, soufre et argent vif, dont le premier est fixe et l’autre volatil.

Ils sont comparés à des serpents ou à des dragons. L’un ailé, ce qui désigne sa nature volatile. L’autre sans ailes, ce qui dénote sa fixité. L’un et l’autre procèdent d’une seule source tendant à l’unité. C’est pourquoi ils sont assimilés à un serpent prenant sa queue dans sa bouche afin de montrer que le soufre n’est rien hors de la substance du mercure, ni le hors la substance du , mais que ce  mercuriel et ce sulfureux accomplissent tout l’art. Le composé est donc dit à bon droit un, même si au début de l’œuvre il apparaît double ; d’où il est dit Rebis, chose double, bien qu’on en puisse faire une par conjonction ; et cet art est appelé Élixir, qui n’est jamais possible si les natures ne sont pas profondément pareilles. Il faut donc observer soigneusement la nature du et du , et se garder des erreurs, car ses deux ne sont pas différents mais une seule et même chose, le  un mûr et digeste ; le , un  cru et non mûr. Il faudra donc observer cette divine genèse de l’œuvre, comment la nature opère dans les mines, sous terre, pour procréer les corps métalliques par ce que dans notre œuvre nous faisons tout à l’imitation de la nature autant qu’il est possible. C’est pourquoi nous choisissons cette même nature dont elle se sert mais pour abréger l’œuvre et pour amener la Pierre à une plus-que-parfaite exaltation. L’art [p.15] découvre une voie de disposition beaucoup plus subtile. En effet dans les veines métalliques on ne trouve qu’une seule chose, à savoir le , qui est très cru et frigide, et dans lequel sa qualité sulfurée est profondément vaincue et nulle chaleur très digeste ne se trouve là, mais par un mouvement imperceptible après un assez long temps, ce principe métallique est changé jusqu’à ce qu’il soit converti en  fixe. Ainsi, tant qu’il restait frigide et humide il était dit ☿. En cette élévation ou excitation il est nommé .

Mais il se passe autre chose en notre œuvre ; car outre le cru et frigide, nous en avons un autre, or mûr assurément, dans lequel existent beaucoup plus de qualités actives. C’est pourquoi nous le joignons à notre , dans lequel on trouve les qualités passives, afin qu’ils s’aident l’un l’autre ; et alors que la nature dans les mines ne digère par aucune autre chaleur supplémentaire, nous, nous digérons avec un feu double ; d’où il résulte que nous obtenons, non pas occultement de l’or, mais un autre beaucoup plus noble et éminent que l’or.

Vous voyez donc ce qu’il en est du  et du , comment aussi nous avons en notre art un double et un soufre double ; lesquels toutefois ne sont pas distincts par l’essence, mais par la maturité et la perfection. C’est pourquoi ils opèrent de même, comme je crois que vous avez compris. Et même le corps parfait de l’or est digéré par le moyen de notre eau divine qui ne mouille pas les mains, et ramené à ses premiers principes, au qui n’existe pas sans le  participant des natures des astres ; c’est pourquoi dans cette opération, la femme s’élève au-dessus de l’homme et prédomine sur lui, un temps, ce qui est innaturel ; jusqu’à ce que l’homme commence à exercer ses forces, et alors par sa chaleur amenant la sécheresse, il dessèche l’humidité de la femme en la convertissant toute en une poudre très subtile et visqueuse par calcination. De cette poudre ensuite, l’eau est dissoute par solution, et dans cette eau, l’esprit du dissolvant et du dissous, l’homme et la femme s’unissent ; mais que cette chaleur excitée ne se ralentisse pas, qu’elle opère toujours quotidiennement par séparation, en séparant le subtil de l’épais, afin que le premier surnage, que le second reste au fond, jusqu’à ce que toute cette qualité soit produite, et alors à l’heure qui convient à leur matière, ils [p.16] sont joints inséparablement ; et l’homme s’élève au-dessus de la femme et l’imprègne, et il engendre une nuée qu’il a conçue dans laquelle il putréfie et se corrompt ; et après tous deux montent ou ressuscitent glorieux, désormais non divisés, mais faits uns et pareils par la conjonction. Et il est ainsi coagulé sublime, nourri et exalté en nature très parfaite, qui alors peut être fermentée et multipliée en poids et en excellence, à volonté ; et dont l’usage remarquable est prouvé, tant dans la projection que dans la médecine.

Ces cendres noires et fétides ne sont donc pas à mépriser, et même en elles est contenu le diadème de notre Roi ; et je vous dis en toute vérité, que jamais le blanchissement n’est obtenu si vous n’avez produit le noir, car s’il ne putréfie pas, le corps demeurera sans fruit ; mais s’il est corrompu, alors ce même lieu où tu as vu les corps perdre ce qu’ils avaient, tu les verras ressusciter et apparaître tels qu’ils ne le furent jamais avant. Honore donc le sépulcre de notre Roi, car si tu ne le fais pas, tu ne l’admireras jamais venant de l’orient. Il faudra donc prendre garde de ne pas errer en ce commencement ; c’en est fait de l’œuvre si tu manques de précautions.

Les erreurs communes en cette opération sont nombreuses et variées, de ceux d’abord qui ignorent ce qui est fait pour calciner, mais cherchent le principe d’aurification en des choses étrangères. Quelques-uns prennent pour leur matière première des choses qui ne sont pas applicables aux métaux telles que borax, alumine, atraments, vitriol, arsenic, graines, plantes, vin, vinaigre, urine, cheveux, sang, gommes, et résines de terre, sels de toutes sortes, qu’ils s’efforcent, telle est leur stupidité, de générer par la flamme. Je passe sur ceux-là car ils ne comprennent rien profondément en cet art. D’autres opèrent en des métaux quelconques ; toutefois ils veulent faire la calcination, soit par des eaux corrosives et par l’esprit du sel de soufre, soit par le feu.

Ils corrodent en effet les corps, mais ne les calcinent pas, car leur calcination n’est pas produite par la chaleur native du corps aidée d’une chaleur amie, mais par la force d’une eau corrosive sans aucun penchant pour celle du métal. C’est pourquoi les métaux sont souillés et dissipés et deviennent étrangers à la nature métallique, mais ils ne sont pas naturellement calcinés. Donc toute calcination qui se fait ailleurs que dans le corps parfait de l’or, est vaine et inutile à notre œuvre. Et aussi toute calcination [p.17] qui ne suit pas la solution en mercure sans aucune imposition des mains est fausse et sans effet. Donc notre véritable calcination doit être parfaite nécessairement par le , qui joint à l’or de quantité, qualité, poids et proportion dûment observés, l’amollit, enlève sa solidité et le cuit ; et par sa chaleur interne jointe à la chaleur externe de Vulcain, excite la chaleur native de l’or, laquelle excitée agit sur l’humidité et la dessèche en poudre subtile, visqueuse et noire ; et c’est là la véritable clef de l’œuvre, de digérer par conjonction ce qui n’est pas mûr, de calciner ce qui est digéré, de dissoudre ce qui est calciné, philosophiquement, non vulgairement. Les signes de notre calcination sont ceux-ci : d’abord, après que le corps a été rassasié d’eau, très peu après que le gardien de la porte a excité la chaleur du bain, l’eau ou le composé, auparavant éclatant, commence à s’obscurcir puis visiblement s’enfle et se gonfle, montant et descendant continuellement jusqu’à ce que le tout soit fait poudre visqueuse et grasse. En quoi il apparaît que l’humidité a été conservée en cette opération. Autrement le travail aurait été inutile. Il en résulte que très facilement on fait la solution en eau minérale ce qui est le dernier et très certain indice que notre calcination a été véritable et Philosophique, car dès que la chaleur commence à opérer, ne souffrant plus son froid et son humidité, il tend vers le haut, d’où il se liquéfie et descend ; et ainsi se ramène autant que possible à sa similitude. Faisant cela assidument jusqu’à ce que le tout soit résolu en eau quasi grasse et glutineuse ; et ainsi nos opérations sont enchaînées, parce que l’une l’autre ne peut être ni obtenue ni comprise, mais comme nous instruisons pleinement les fils de l’Art et que nous repoussons loin ceux qui en sont indignes, nous traitons les opérations comme diverses, alors qu’il n’y en a qu’une seule, une seule chose, un seul régime et disposition successive jusqu’à noir, blanc et rouge ; et nous ne devons pas la comprendre autrement. C’est pourquoi quiconque sera vraiment Philosophe, regarde le sens non de la lettre [p.18] écrite en cet art, mais pour en venir à notre véritable calcination il faut prendre garde à ce qui suit : d’abord que tu te procures notre , sans lequel rien ne se fait en cet art. Vois donc à ne pas t’abuser avec le du vulgaire ; qui est complétement inutile à notre œuvre car quand bien même tu travaillerais avec lui jusqu’au dernier jour, tu n’y trouverais rien. Deuxièmement, il faut prendre garde à ne pas trop étendre le feu du fourneau, mais sa mesure est celle d’un four, parce que afin que tu comprennes pleinement, tu sauras que le , qui dans le ou l’eau, n’est pas dominé, digère la matière, ce qui avec l’azoth te suffit abondamment. Donc pour que sa qualité interne ne confonde pas la forme extérieure, ne sois pas préoccupé de la façon de disposer le feu, mais prends garde qu’il ne soit pas trop lent, car alors à cause du défaut de chaleur tu te découragerais facilement ; et aussi qu’il ne soit pas trop violent, mais doux au corps ; à la façon de la marche de la nature et excluant le froid.

Entends ces choses du feu interne contre nature ; je l’appelle interne parce qu’à la fin il augmente l’œuvre. Troisièmement, aie souci de la quantité. Ne donne pas tant à boire au laiton, qu’à la fin il ne puisse plus manger ; car si tu lui en donnes trop, à la fin il deviendra une mer de confusion ; si trop peu, il sera consumé. Ne sois donc avare ni prodigue, mais entre les extrêmes, conserve la modération. C’est pourquoi rappelle-toi en conjoignant l’homme avec la femelle, qu’il faut que l’activité du  dessèche l’humidité superflue du . Donc ne submerge pas l’actif par trop de sperme cru ; de plus la femme d’abord veut dominer ; donc n’étouffe pas par trop de terre l’humidité de la pierre, mais tempère ingénieusement, doucement et selon l’exigence de la nature, afin de ne pas diminuer les forces de la Pierre. Il est donc préférable que tu prennes trois ou quatre parties d’amalgame, que une ou deux avec non pas le quintuple ou le quadruple d’eau, comme font les faiseuses d’or, mais le double ou le triple au plus puisque la solution sera d’autant meilleure que la calcination est plus naturelle. Il m’a été affirmé par Riplée, que si l’on prend plus de terre et moins d’eau, on obtient par là une meilleure solution. Prends donc garde d’abord à ne pas inonder la terre, parce que dans la terre le feu est caché, qui n’opérera pas si on lui donne une humidité superflue ; d’où l’erreur serait irrémédiable et l’œuvre vaine. [p.19]

Quotidiennement, veille à la fermeture du vase, afin que l’esprit ne s’envole pas et que l’œuvre ne soit détruite. Observe donc le vase et la ligature, et tu n’estimeras pas que c’est une chose de petite importance. Considère l’homme : de même qu’il est naturellement généré, de même notre or est mûri par l’art de la nature administrante. Observe donc avec quel soin la nature ferme l’utérus de la femme enceinte, de peur que quelque chose ne parvienne à y entrer, autrement le fœtus périrait. Toi aussi, avec une habilité non moins grande, sois attentif dans l’accomplissement de cet œuvre Philosophique de crainte que ton travail ne soit sans effet. Écoute donc le Philosophe disant : « Prends le vase et le feu, frappe du glaive, reçois l’âme, c’est elle qui est la fermeture. » Hermès dit aussi : « Le vase de Philosophes est leur eau. » Et certainement tu connaîtras que le vase de nature est le seul qui nous soit utile en cet art, et qui est à fermer soigneusement. En effet, dans la formation de l’embryon, il existe de grands vents. S’ils s’échappent, c’en est fait de nous. L’erreur est irréparable, d’où très certainement condamnée.

Cinquièmement l’œuvre est patience. Ne perds pas courage ; ne t’exerce pas à avancer la solution, mais crois fermement qu’une trop grande hâte de conjoindre est très ennemie de la conjonction et l’empêche, car elle rougit impertinemment en corps à dissoudre excitant en lui la fièvre, c’est-à-dire le feu contre nature, d’où comme frappé à mort d’un coup de marteau, d’actif il devient passif ; et au lieu de noir, le citrin du pavot des bois apparaît, mais notre véritable calcination conserve l’humide radical dans le corps dissous, et elle ne s’achève par nulle autre couleur que le noir, et il se fait d’une chaux discontinue onctueuse, grasse et idoine à la fusion. Soyez donc patients et constants afin de pouvoir poursuivre notre vœu, parce que ce sera pour plusieurs d’entre vous une cause de découragement. Quand donc nous parlons de nos opérations, veuille ne pas croire que nous les accomplissons en une heure ou deux, et que nous voyons les couleurs ou les signes au premier instant ; non certes, mais beaucoup et longtemps nous avons attendu, jusqu’à ce que fût faite la résignation entre les qualités contraires, c’est pourquoi en sa pratique, le fameux Trévisan, homme docte et bon en cet art, nous apprend qu’il resta en prison, c’est-à-dire dans le doute et en suspension d’esprit, pendant 40 jours [p.20] mais après il en revint et vit les nuages et les vapeurs.

Si tu jettes du grain dans une bonne terre, tu ne vas pas à toute heure regarder en écartant la terre, pour voir si et quand il commencera à croître. Si tu faisais cela, tu ne devrais pas espérer une agréable végétation, encore moins du fruit. Aussi, sots et insipides sont ceux qui dès qu’ils ont joint le dissolvant avec ce qui est à dissoudre, cherchent aussitôt quelque signe de l’opération et ne peuvent se satisfaire ; alors, ou ils agitent, ou ils ouvrent, ou ils ajoutent et retirent quelque chose, ou pour le moins ils augmentent le feu pour accélérer l’œuvre ; et de cette façon empêchent l’œuvre de la nature, et n’atteignent pas les fins désirées. Aussi, suis bien ma doctrine. Dès que tu as préparé ta matière, c’est-à-dire du soufre mûr, jaune, avec son soufre crû blanchissant, et que tu les as dûment fiancés, enferme-les dans le vase et permets-leur de reposer sans trouble.

Si tu procèdes droitement, en 24 heure au plus tu verras ton composé se gonflant et émettant peut-être plusieurs bulles, exciter par la chaleur croissante de ton eau pontique la chaleur de la matière incluse. Mais tu verras tardivement, c’est du moins ce qui te semblera, la variation des couleurs ; parce que le gardien de la porte supporte nécessairement beaucoup de travail, car tout ce qui est fait, lui seul le fait, parce que le bain n’est pas encore prêt ; c’est-à-dire que la chaleur naturelle du Roi n’est pas encore excitée, mais quand le bain est échauffé, notre économe n’a plus qu’un petit nombre de peines à endurer, et il sera très facile de distinguer les opérations. C’est pourquoi ceux de cet art savent certainement que la première couleur qui apparaîtra après la couleur argentée du corps amalgamé ne sera pas le noir parfait, car cette couleur ne vient pas instantanément, mais chaque jour à mesure que le blanc diminue le noir survient, jusqu’à ce qu’enfin il soit complet. Le noir est en effet le signe du corps dissous, ce qui ne se fait pas en une heure, mais peu à peu, quoique nécessairement. Car la teinture sortant des reins du € et de la ‚, se montre noire, mais elle est extraite insensiblement et imperceptiblement. Donc la sortie du noir et la sortie de la teinture hors des entrailles du corps à dissoudre est à la fois le mode et le moment, parce que dès que la teinture est toute entière sortie, elle est parfaite et le noir absolu.

Écoute ceci sur cette chose qu’on appelle un jeu d’enfant. [p.21] Aussitôt que tu cuis, aussitôt tu subtilises l’épais et tu noircis le composé. Et Bernard le Trévisan dit : quand la terre commence à dominer sur les autres éléments, le noir apparaît, mais il ne gagne son domaine que peu à peu. Je déclare pour terminer qu’il y a 4 principales couleurs : la première est le noir, la plus tardive à venir et la plus longue à durer ; si elle était parfaite d’un seul coup l’œuvre serait entièrement très facile ; car le noir disparaîtrait aussi vite qu’il est venu, et ne resterait pas une heure au sommet de la noirceur, car il n’y a nulle interstice dans ces opérations, et ce point n’est pas plutôt atteint que de nouveau il y a décroissance. L’œuvre monte donc lentement jusqu’au noir et lentement aussi elle en redescend. Et ce n’est pas en un moment qu’elle monte et descend, car rien n’a de repos qu’en sa fin, or le noir n’est pas la fin de notre Pierre, donc elle ne repose pas en lui.

Comment donc apparaîtra le noir ? Certainement tout ainsi que la nuit vient, d’abord le crépuscule puis la nuit noire, et cela par degrés insensibles, à chaque moment moins de lumière dans l’air qu’au moment précédent, jusqu’à ce que plus aucune lumière ne l’éclaire ; alors c’est la nuit profonde. Tout cela se fait d’ordinaire en une heure ; toutefois, insensible est le mouvement. Mais pour notre œuvre qui requiert un plus long espace de temps, nécessairement ce mouvement sera plus imperceptible. Toi donc, qui cherches cela, considère l’exemple donné et tu auras la réponse.

On objectera : mais après la première excitation de la matière, la teinture sort à toute heure et moment, et la couleur de la teinture sortante est d’un noir très noir, donc après la première excitation de la matière, en une heure apparaîtra le noir très noir.

Mais on répondra que le noir très noir appartient à la teinture sortie, non à la teinture sortante ou s’il en est ainsi, il sort cependant insensiblement une noirceur insensible ; un peu de très noir sorti dans beaucoup de blanc ne manifestera pas dans tout le composé un noir très noir, mais une couleur au-dessous du blanc. Tant que le sujet de la blancheur n’est pas rendu subtil et bien épuré, ce blanc n’existe pas, de même la teinture à sa première sortie n’est pas complétement noire, mais [p.22] elle le devient par putréfaction ; ce qui n’est pas une simple sortie de la teinture, mais une répugnance et une résistance entre la teinture qui sort et l’eau qui tire, c’est-à-dire entre  et .

Écoute Morien parlant à ce sujet : notre opération n’est rien autre que l’extraction de l’eau hors de sa terre et non cela seulement mais encore la rémission de l’eau au-dessus de la terre, jusqu’à ce que la terre se putréfie. Donc la teinture n’est pas complétement par elle-même noire, mais très blanche. Elle sort avec le signe du noir par ce que plus il sort de teinture qui est l’âme, plus il se vivifie de terre qui est le corps, et ainsi elle se putréfie et noircit.

Combien donc de temps faut-il attendre avant qu’elle soit complétement noire ? En cette chose suis ce que dit Flamel. La couleur que tu dois voir d’abord est le noir, et cela non une quelconque, mais très noire, et cela dans l’espace de 40 jours. Riplée de même dit : laisse les natures mêlées et cuites coucher ensemble 6 semaines, pour qu’elles conçoivent ; pendant ce temps attends avec un feu lent. Quand elles seront détruites, les couleurs apparaîtront (se montreront) en ce temps-là en effet, à la façon de la poix liquide, elles bouilleront et se putréfieront. Et Bernard dans sa parabole dit : le Roi, rejetant ses vêtements splendides, qu’il abandonne à Saturne, (et)[5] se revêt de soie noire qu’il garde 40 jours. Mais entends cela du noir à son plus haut point, parce qu’il apparaît clairement des paroles de Flamel citées plus haut qu’un noir moins intense apparaîtra plus tôt. Telle est l’échelle des Philosophes dans le progrès de la putréfaction en 16 jours, dit-il. Si l’on entretient un feu léger, la matière continuellement se recouvrira de noir. Et cela, au plus tard ou plus tôt selon l’habileté de l’opérateur dans l’adaptation des matières.

Mais n’apparaît-il pas des couleurs intermédiaires dans la marche du blanc au noir, comme dans la marche du noir au blanc ? Il semble en effet qu’il en est ainsi parce que de l’extrême à l’extrême, il n’y a pas de passage sinon par un intermédiaire ; et nous répondons qu’elles apparaissent ainsi, bien que confusément ; et en quelque œuvre il en apparaîtra, dans le progrès vers le noir intense, qui en une autre n’apparaîtront peut-être pas, vu que ce ne sont là que des couleurs accidentelles, mais non tout à fait les mêmes [p.23] entre la première blancheur et la noirceur, qu’entre celle-ci et la dernière blancheur ; car ce n’est pas la même espèce de matière. En premier lieu elle était une crasse très terrestre, à comburer et à pacifier, mais en l’œuvre la matière est plus spirituelle et plus pure ; donc dans un sujet pur ou épuré, en marche de l’extrême noirceur vers la blancheur extrême, les couleurs intermédiaires seront beaucoup plus lumineuses et plus admirables que celles qui sont apparues dans un sujet terrestre. Mais en l’une ni l’autre marche elles apparaîtront : dans un premier passage entre les extrêmes, plus obscures et moins nombreuses, et plus sales, dans l’autre passage nombreuses, plus brillantes et plus splendides, selon le témoignage des Philosophes : entre le plus haut point de noirceur et la blancheur, à l’heure de la conjonction, les plus grandes merveilles apparaîtront[6] ; toutes les couleurs imaginables au monde seront alors aperçues. Et Riplée dit : En notre œuvre apparaîtront des couleurs telles que jamais on n’en vit de plus belles. De même avant le noir parfait, les couleurs intermédiaires se montrent comme l’atteste le Philosophe, qui dépeignant les couleurs des Dragons, dit qu’elles sont noires, jaunes et azures ; et ces couleurs intermédiaires, dit-il, dénotant que ta matière n’est pas encore parfaitement putréfiée. Je parle, dit-il, de quelques couleurs plus obscures, qu’on voit dans ce qui va mourir, mais rares et peu nombreuses, et cela avant que la nuit noire ait obscurci tout l’horizon. Mais dans ce qui va ressusciter, il en sort de très nombreuses et très splendides, parce que déjà le corps commence à être glorifié, et la lumière commence à dominer sur les ténèbres ; et cela dans un sujet pur et spirituel.

Mais en quel ordre apparaîtront ces lumières dont on parle ? Cela ne peut être sainement déterminé, parce qu’elles varient en beaucoup d’endroits ; mais meilleur sera le suc de l’eau de vie et mieux les signes apparaîtront. L’ordre des quatre couleurs principales a été décrit par tous ; mais nul ne peut déterminer l’ordre des accidentelles. Que cela te suffise d’avoir 40 jours le noir complet. N’aie pas [p.24] grand souci du reste ; mais il est bon de veiller. Car le noir est la couleur d’abord la plus souhaitée ; et si même les autres apparaissent, si tu ne vois pas celle-là, sans doute tu t’es trompé grandement ; mais comme je l’ai dit, les autres couleurs de Vénus excapés[7] au rouge imparfait, si elle apparaît avant la noirceur, il faut se méfier surtout si elle coïncide avec la sécheresse du compost et la discontinuité des parties. Cette précipitation, dis-je, est l’indice fatal que l’opération perd son temps.

Cela même, le Philosophe l’atteste quand il dit : un feu véhément empêche la conjonction, et teint le blanc de la couleur de pavot sylvestre. Et Flamel dit en ses figures hyéroglyphiques (sic) : si tu ne vois pas le noir d’un noir très noir, et que tu voies quelqu’autre couleur, tu es dans le chemin de l’erreur, surtout la couleur rubescente est à suspecter ; car si tu la vois, tu as brûlé ou tu brûles la vertu vivifiante de la Pierre.

Mais la première chose à retenir est celle-ci : qu’une eau unique fait tout, pourvu que le composé soit régi par une chaleur externe continue aidant l’interne ; et rien en tout l’œuvre n’est plus admirable que cette eau, que j’ai décrite pleinement plus haut, auquel endroit je te renvoie.

De la Solution.

Et la dissolution de notre Pierre est la réduction en sa première matière, la manifestation de l’humide, et l’extraction des natures hors de leur profondeur. Elle s’opère quand on a obtenu l’eau minérale.

Cette opération n’est pas insignifiante, ni d’un moment. Si elle est difficile, ceux qui ont sué dessus peuvent en témoigner.

Texte retranscrit par Almurida


[2] Nous nous permettons d’ajouter ce qui qui nous semble omis.
[3] Ou pieux ?
[4] Souligné dans le manuscrit.
[5] Nous pensons devoir supprimer ce et.
[6] Citation de Morien ?
[7] Mot incompréhensible.

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