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  • François-Xavier Bellamy | Les Déshérités ou l'urgence de transmettre | Plon, 2014
Écrit par : François-Xavier Bellamy
Titre : Les Déshérités ou l'urgence
de transmettre
Date de parution : 2014
Éditeur : PLON
 
 

"Les déshérités ou l'urgence de transmettre" de Francois-Xavier Bellamy, éditions PLON, 2014

Nous assistons à l'effondrement de la culture – et donc de la transmission – en Occident. Cette crise de la culture est-elle un phénomène accidentel ou le résultat d'une volonté délibérée, d'un travail pleinement réfléchi?

Par "Les déshérités", François-Xavier Bellamy, agrégé de philosophie et enseignant, répond de manière très convaincante à cette question en s'appuyant sur une généalogie de la modernité.

La position actuelle de l'autorité éducative en général est l'accomplissement d'une progression de la pensée qui peut se démontrer au travers de trois auteurs majeurs et influents de notre histoire: Descartes, Rousseau et Bourdieu.

Voici, résumée, l'élaboration de la pensée éducative contemporaine:

Selon F-Xavier Bellamy, le "Discours de la méthode" de Descartes (1637) est le premier événement d'une révolution dont les conséquences seront immenses. Par une longue série de citations commentées, l'auteur entre en profondeur dans la pensée descartienne qui aboutit au rejet de toute transmission, l'unique connaissance légitime étant celle construite par l'individu seul après que sa raison ait pu rejeter toute forme d'héritage.

Si l'homme doit être le seul créateur de son savoir, toute connaissance reçue devient pollution, dévie la raison.

Le rôle de l'enseignant ne peut donc plus être celui de transmettre mais au contraire d'aider à la déconstruction, "d'enseigner" le travail du doute.

L'homme moderne de Descartes, pour être libre, se créer lui-même, doit rejeter tout héritage, et ne peut que déplorer de n'avoir pu être conduit par la raison dès la naissance.

Jean-Jacques Rousseau, plus d'un siècle après Descartes, révolutionne à son tour la vision moderne : plus l'homme s'éloigne de son "état de nature" reçu à la naissance, plus il est perverti. Descartes rêvait d'un homme qui n'ait pas connu l'enfance, Rousseau souhaite à l'homme de rester un enfant.

Dans son long traité "Émile ou De l'éducation", Rousseau dresse un véritable projet éducatif qui, selon F-X. Bellamy "s'est réalisé avec toute l'exactitude que permet un système aussi structuré que l'Éducation nationale, "de sorte qu'"en lisant ce traité, on réalise que ce qui est souvent considéré comme un échec de l'éducation contemporaine est en réalité un succès, la réussite complète d'une théorie parfaitement explicite – celle du refus absolu de la transmission des connaissances'" ( p.61)

Puisqu'il  faut s'éloigner le moins possible de cet "état de nature", Rousseau dépeint l'éducateur idéal : celui-ci doit être jeune, se soumettre au même niveau que l'enfant, ne rien lui imposer, surtout pas de la lecture, et l'apprentissage doit se faire le plus possible par les choses plutôt que par le langage dont il faut se méfier car il n'est pas naturel. En somme, le rôle de l'éducateur se définit par la négation : ce qu'il ne doit pas faire.

Pierre Bourdieu, philosophe et sociologue de la deuxième moitié du vingtième siècle, au travers des "Héritiers" (1964) et de la "Reproduction" (écrite avec Jean-Claude Passeron en 1970) sonne le glas final : l'école, toute transmission, est intrinsèquement violente car elle impose une culture arbitraire au moyen d'un pouvoir arbitraire. Dès lors, pour l'éducateur de bonne foi, éduquer devient impossible.

Et F.-X. Bellamy de constater (p. 105) : "Cette condamnation sans appel a pourtant servi de fondement à cinquante ans d'analyses, de commentaires, de formation, et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cinquante ans de formation des enseignants eux-mêmes", et de témoigner du malaise de l'enseignant actuel qui se sent complice actif de l'inégalité sociale.

La conclusion est évidente : "Cette crise de la culture n'est pas le résultat d'un problème  de moyens, de financement ou de gestion; c'est un bouleversement intérieur. Il s'est produit, dans nos sociétés occidentales, un phénomène unique, une rupture inédite : une génération s'est refusée à transmettre à la suivante ce qu'elle avait à lui donner, l'ensemble du savoir, des repères, de l'expérience humaine immémoriale qui constituait son héritage. Il y a là une ligne de conduite délibérée, jusqu'à l'explicite."

Dans la deuxième partie de l'ouvrage intitulée "refonder la transmission", F.-X. Bellamy invite à rebrousser chemin, à quitter l'impasse dans laquelle l'Occident s'est engouffré.

C'est une grave erreur de penser la culture dans le vocabulaire de l'AVOIR. Ce n'est pas un bagage, un capital qui s'adjoindrait à la personnalité. Elle est ce que nous SOMMES, et n'est pas accessoire mais essentielle.

Victor, l'enfant sauvage trouvé dans le Tarn en 1797 en est une illustration évidente : au grand désenchantement du Tout-Paris, cet enfant sauvage resté à l'"état de nature" s'avère indifférent à tout, incapable d'utiliser ses sens, incapable d'émotion, dépourvu de toute humanité.

L'homme, pour développer sa propre nature, a donc besoin d'un enseignement. Sans éducation, il se dénature et perd même ses potentialités. La culture n'est donc pas un artifice réservé à des privilégiés mais un besoin fondamental de l'être humain pour rejoindre sa nature propre.

Ainsi, le langage, premier vecteur de toute transmission, donnera forme à la pensée elle-même et pas seulement à son expression. Il s'ensuit une corrélation directe entre la richesse du vocabulaire et la précision, l'affinement de la pensée...

L'homme ne peut devenir humain sans avoir été cultivé. Déconstruire la culture est donc un crime contre l'humanité, un inéluctable retour à la barbarie.

Et c'est bien l'erreur que notre modernité triomphante a déjà commise. Elle s'inquiète cependant, face au "niveau qui baisse", face aux " échecs de l'insertion sociale", face à la "rupture du dialogue entre les générations", face à l'"explosion de la délinquance" – bref face à la résurgence de la barbarie – des conséquences de ses choix...

Il est donc urgent, nous dit F.-X. Bellamy, qu'elle RECONNAISSE la nécessité de transmettre l'héritage du passé. Alors seulement l'école sera réaffirmée dans sa mission propre : la transmission.

Et l'auteur de terminer en formulant le vœu que son livre puisse servir d'acte de reconnaissance...

Voici quelques extraits particulièrement parlants :

"La transmission de la culture revêt en effet une portée essentielle : ce qui est augmenté par elle, ce n'est pas l'acquis, l'avoir, le capital culturel de l'individu, mais son être même. La mission de l'éducateur n'est donc pas de charger sur les épaules de l'enfant le strict minimum d'un bagage qui lui sera nécessaire demain pour affronter la compétition économique. Réduire l'enseignement à une préparation à la vie professionnelle, c'est se méprendre sur sa mission propre et mépriser son ampleur réelle. En offrant à l'enfant la culture qu'il lui transmet, l'éducateur lui ouvre le chemin qui le conduira vers lui-même.

Cela suppose que cette médiation soit vraiment reçue, que l'enfant puisse la comprendre, au sens le plus fort de ce terme. Un apprentissage mécanique, machinal, désincarné, qui resterait encore à la surface de l'âme, se méprendrait lui aussi sur sa finalité authentique ; mais plus encore, sans doute, cette absolue illusion que constitue l'utopie numérique, lorsqu'elle nous fait croire qu'il n'est plus besoin d'apprendre, puisque tout le savoir est désormais stocké et partout accessible. Quelle incroyable erreur... La culture n'est pas un capital qu'on pourrait utiliser au gré des besoins. Elle ne prend toute sa valeur que lorsqu'elle est transmise, et qu'elle nourrit ainsi celui qui la reçoit. Avoir appris un poème et savoir le trouver sur le web ne sont pas du tout la même chose : du poème que j'ai en mémoire, les vers habitent mon esprit et, en faisant écho aux situations que je traverse, ils me rapprochent de ma propre vie intérieure." (p. 122-123)

"En fait, le savoir n'est pas un contenu qui occuperait de la place dans le contenant de notre esprit. D'ailleurs, la mémoire humaine ne fonctionne pas comme celle de l'ordinateur, dont la taille limitée finit par saturer sous le poids des données. Chez nous, c'est l'inverse qui se produit : plus nous apprenons, plus il est facile d'apprendre. Plus la mémoire s'exerce, plus elle s'agrandit. La réciproque est, hélas, vraie aussi : moins on apprend, plus il est difficile d'apprendre ; moins on est poussé à se concentrer, plus l'attention devient fragile. Et lorsque notre mémoire n'est plus jamais sollicitée, elle demeure rétrécie et impuissante. Faites l'expérience d'apprendre un peu de poésie chaque jour : dans quelques mois, après avoir trouvé l'exercice difficile d'abord, vous vous découvrirez peu à peu des capacités de mémoire totalement insoupçonnées." (p. 124)

"Gabriel Cohn-Bendit écrivait : "Je préfère un texte riche de sens mais plein de fautes." Toute l'erreur est contenue dans cette distinction illusoire : car comment ne pas constater que la dysorthographie, qui frappe tant d'élèves, freine la réflexion et appauvrit le propos par la confusion qu'elle suscite dans l'esprit? Il suffit de lire un travail écrit en philosophie pour comprendre qu'une écriture phonétique altère, non pas seulement la qualité formelle de l'orthographe, mais la clarté même de la pensée... Apprendre l'orthographe, c'est rejoindre cette histoire, cet immense héritage de significations, qui est paradoxalement nécessaire à la naissance de nouvelles idées. Il faut une langue pour penser - un langage, avec sa discipline, ses contraintes et son lexique commun et imparfait. Il faut une langue pour nous obliger à expliciter, fût-ce pour notre propre conscience, nos perceptions et nos intuitions." (p. 135)

"La variation de nos émotions, nous ne pouvons la percevoir véritablement qu'à travers le nuancier d'un vocabulaire aussi étendu que possible. C'est là encore dans les mots dont s'enrichit notre lexique que se dessine, pour notre propre conscience, la palette de nos sentiments. Il faut un vocabulaire développé pour apprendre à ressentir, dans nos émotions, les variations qui distinguent "aimer", "estimer", "apprécier", "admirer", "affectionner", "adorer", "chérir", "aduler", ... L'enjeu du vocabulaire n'est pas seulement la précision de la parole : sans la diversité de ces mots, non seulement nous ne pourrions pas nous exprimer avec justesse, mais il est même certain que nous serions incapables de reconnaître, en nous-mêmes, la singularité de nos propres sentiments." (p. 136)

" ...ma génération semble avoir abandonné la pratique d'une lecture un tant soit peu exigeante - c'est-à-dire tout simplement extérieure à la production commerciale d'une littérature facile, accessible sans efforts, consommable exclusivement pour le plaisir. Il suffira de consulter les statistiques annuelles des ventes d'ouvrages en France pour s'en convaincre... On impute généralement cette rupture à la révolution numérique et à l'immédiateté désormais exigée par l'attention zappeuse de la génération "Y". Sans doute le lien est-il réel; mais l'abolition des distances par la technologie n'a fait qu'accomplir un basculement contenu dans l'essence même de la post modernité : il était inévitable qu'une société qui refuse la transmission finisse par condamner le livre - sauf lorsqu'il ne nous promet qu'un pur divertissement. ... Finalement, la technologie n'a fait que se mettre au service d'un bouleversement de civilisation, dont nous sommes très loin d'avoir perçu les conséquences." (p. 144)

" L'homonymie du mot "liber", qui veut dire en latin à la fois "libre" et "livre", n'a rien d'insignifiant. ... Le meilleur des livres est celui qui ne se contente pas de me procurer un plaisir en venant satisfaire mon attente : au contraire, il la surprend, la dépasse, me tire de mon état initial ; et c'est en me dépassant, à sa lecture, que je m'approche de ce que je suis, de ce que je pense, ressens et vis. Par son ouvrage, l'auteur ne m'offre pas qu'un divertissement : il augmente en moi ma propre liberté - il m'augmente de moi-même, pourrait-on dire. C'est d'ailleurs là le principe même de son autorité : l'"auctor" est celui dont le propre est d'"augere", d'augmenter. Ce que l'auteur fait croître en moi, ce n'est pas seulement un contenu de savoir, une quantité de culture, un capital à entretenir, mais l'être même que je suis.

Sous l'apparence d'un objet figé, inerte, statique, le livre est donc le lieu d'une croissance continuelle." (p. 146)

"La culture, malheureusement, n'empêche pas toujours l'homme d'être inhumain; mais l'inculture l'empêche d'être humain." (p. 155)

"Cette crise, nous pouvons donc la surmonter - mais il faut faire vite. D'abord parce que la déculturation progressive du plus grand nombre ne peut signifier autre chose que l'ensauvagement accéléré du monde. Là où plus rien n'est transmis, c'est la nature même de l'homme qui se trouve dégradée. Nous le constatons déjà : sur tous les terrains que l'autorité à désertés, prospèrent les radicalités les plus délirantes, la violence la plus absurde. Si la famille et l'école persistent à s'interdire de jouer leur rôle, il faudra bientôt nous souvenir que les civilisations sont mortelles." (p. 205-206)

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