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Saint Nom di Djûû !!

Dans la plupart des traditions et grandes religions, le Nom de Dieu revêt une importance particulière. Dans le présent article, nous tenterons de confronter des témoignages de ces différentes traditions, pour comprendre en quoi le et les noms ont eu un tel succès dans le culte de Dieu et dans la théologie.

Outre le fameux juron liégeois cité ci-dessus, on pense à la tradition chrétienne et aux paroles qui accompagnent le signe de croix :

« Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit »1

On en retrouve aussi une mention dans le Notre Père, célèbre prière enseignée par le Christ à ses disciples :

« Que ton Nom soit sanctifié » 2

Il semble d’ailleurs étonnant que l’homme déchu demande que le Nom de Père soit sanctifié. Ne l’est-il donc pas par nature ?

La religion musulmane prêche une formule assez semblable : de fait, presque toutes les Sourates du Coran commencent par la formule Bismi Allah al-Ramān al-Raīm, généralement traduite par :

« Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux »3.

En plus de se retrouver au moins cent-quatorze fois dans le Coran, elle sert de formule d’introduction à la plupart des livres ou lettres relevant d’auteurs musulmans ; elle se trouve dans toutes les prières et est notamment prononcée comme formule de protection.

Le judaïsme n’est pas en reste : de fait, la Cabale se construit autour de la réunification du Tétragramme, nom divin coupé par la chute originelle – nous y reviendrons.

Dans le Message Retrouvé de Louis Cattiaux, le nom de Dieu est presque systématiquement écrit en majuscules et occupe manifestement une place particulière.

Mais « Au nom du Père », « Au nom d’Allah » : de quoi parle-t-on exactement ? S’agit-il juste d’une formule, d’une « façon de parler » ? De quel nom s’agit-il précisément ?

Voyons avant tout l’étymologie du mot « Nom » : Les étymologistes traditionnels apparentent nomen au terme latin numen, « la puissance, la volonté, la divinité ». En effet, pour les Anciens, donner un nom à un être ou à une chose revient souvent à avoir le pouvoir sur lui. Par exemple, lorsqu’un maître acquérait un esclave, la première chose qu’il faisait était de lui donner un nouveau nom – souvent le sien – en signe de souveraineté. On pense en outre au rite du baptême ou de la conversion dans les grandes religions, qui consiste entre autres à donner un nom au nouvel adepte. Cette image évoque aussi celle d’Adam qui, avant la chute, avait reçu de Dieu le pouvoir de nommer tous les animaux qui se présentaient à lui :

L'Éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme.4

Citons encore l’exemple de l’alchimiste arabe Jābir ibn ayyān et son école : ils partaient du principe que connaître le nom d’une chose revenait à connaître la chose elle-même, ils élaborèrent une théorie – dite « science de la balance » – qui permettait, grâce à la décomposition du nom d’une substance ou d’un corps, de connaître la proportion des éléments qui la constituent, et d’élaborer un élixir qui lui soit approprié.

Il convient à présent de s’interroger sur le nombre des noms de Dieu. Le « Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » des chrétiens semble de fait évoquer trois noms : celui du Père, celui du Fils et celui du Saint-Esprit. En revanche, alors que l’Islam affiche partout « Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux » – formule qui semble ne faire allusion qu’à un seul nom –, on apprend par un hadīth du Prophète qu’il existe en fait nonante-neuf noms divins, et que celui qui les connaît tous par cœur entrera au Paradis5. Ces nonante-neuf noms se retrouvent d’ailleurs mentionnés çà et là dans le Coran6 ; notons que le nom Allāh n’en fait pas partie. De même, un verset du Coran nous apprend que :

C'est à Allah qu'appartiennent les noms les plus beaux. Invoquez-Le par ces noms et laissez ceux qui profanent Ses noms : ils seront rétribués pour ce qu'ils ont fait. 7

Citons quelques-uns de ces noms : al-‘Ālim (« le Connaisseur »), al-Ğayb (« l’Invisible »), al-Ramān (« le Clément »), al-Raīm (« le Miséricordieux »), al-Mālik (« le Souverain »), al-Quddūs (« le très Saint »). 8

Quant à Louis Cattiaux, il parle de deux-cents cinquante-six noms, dans l’une de ses lettres à Emmanuel d’Hooghvorst ; il ajoute qu’ils sont « formés par les diverses combinaisons des éléments. » 9

Dans son De Verbo mirifico, Reuchlin donne encore d’autres nombres, qu’il emprunte à ses illustres prédécesseurs :

Jérôme mentionne à Marcella dix noms de Dieu ; Denys l’Aréopagite, à peu près quarante-cinq, d’autres, septante ; d’autres encore, plus ; et d’autres, moins ; tous, selon leur compréhension.10

Mais peut-il y avoir un nombre défini de noms pour celui qu’il est impossible de nommer, et que tous les noms célèbrent ? [...]»11

Ainsi, les problèmes de divergences ont-ils vraiment lieu d’être ? Voici en tout cas comment Reuchlin explique la coexistence de plusieurs noms :

« [...] Dieu a plusieurs noms parce que c’est au siècle futur qu’il n’en aura qu’un. [...] Pourquoi longtemps attendre, comme s’il fallait une longue discussion pour savoir comment ce qui n’a pas de nom peut-être désigné par tant de noms ? »12

Dans sa Philosophie occulte, Henri-Corneille Agrippa donne une autre explication à la multiplicité des noms :

Quoique Dieu soit unitissime, il porte néanmoins plusieurs Noms, qui ne représentent pas plusieurs essences différentes, ou divinités, mais par ces noms sacrés, comme par des canaux, il fait couler sur nous quantité de bienfaits, dons et grâces.13

Ibn ʻArabī explique de manière assez semblable la centaine des noms de Dieu dans l’Islam : ces noms multiples qualifieraient différentes facettes de la Divinité enfuie dans l’homme, tandis que le nom Allah serait le seul à être commun à cette Divinité et au Dieu « Essence unique ».14

La Cabale juive explique la chose plus concrètement encore. Selon le philosophe Emmanuel d’Hooghvorst, l’objet de la Cabale – il parle aussi d’œuvre mariale ou messianique – est la Réunification même du nom de Dieu, qui fut coupé en deux lors de la chute, du péché originel.15 Il ajoute ceci :

Tous les mots de la Bible, les chars du Saint-Béni-Soit-Il sont des noms de Dieu uniquement. La connaissance de ces Noms de Dieu réintègre le Cabaliste dans le Paradis Perdu. 16

Le nom dont il s’agit est le Tétragramme,יהוה  ihvh, coupé en deux,c’est-à-dire יה-וה , ih-vh.

Les deux parties se cherchent et errent dans les mondes. יה est au ciel où il rêve éternellement, toujours insatisfait.  וה (« Lui ») se trouve dans ce monde d’exil avec l’homme déchu.

Les deux premières sont un être insensé qui se rêve et se pense sans se connaître. Les deux dernières sont un être enlaidi par la concupiscence du sensible en exil.17

Ce même Tétragramme יהוה, est traditionnellement prononcé « Adonai »18 et transcrit ihvh ; c’est-à-dire que l’on n’en transcrit que les consonnes, car ses voyelles sont inconnues pour l’homme déchu, ce qui rend le nom imprononçable. Il ne pourra être prononcé que lorsque nous en aurons reçu les voyelles19, lorsque la Torah orale sera venue vivifier la Torah écrite.

Zacharie fait certainement allusion à cette réunification lorsqu’il dit :

En ce jour-là, Dieu sera un, et son nom sera un.20

C’est à cela que se rapporte également les paroles du Notre Père, « Que ton Nom soit sanctifié », comme l’explique Charles d’Hooghvorst dans son Livre d’Adam :

« Que ton nom soit sanctifié », c’est-à-dire qu’il soit réunifié pour reconstituer le Tétragramme sacré ! Que l’homme soit régénéré et réintroduit dans le paradis où il n’y a plus de séparation ! Que le Dieu qui demeure dans l’homme soit béni, que « le Père qui est aux cieux » vienne réanimer et rafraîchir le Dieu d’en bas ! Voilà le Nom sanctifié, l’unité de l’Unique rétablie, les quatre lettres du Nom sacré réunies, ce qui rend à l’homme l’usage de la parole sacrée.

La prononciation de ce nom est réservée aux justes, à qui Dieu a communiqué son secret et sur le front desquels il brille. Il est sur les lèvres des vrais prophètes de Dieu.21

C’est bien de ce nom-là que semble parler Louis Cattiaux dans ce verset du Message Retrouvé :

« Le saint Nom de Dieu est une réalité vivante et palpable qui peut tout. C'est un mystère que bien peu ont connu ou connaîtront. »22

Emmanuel d’Hooghvorst commentait ce verset en disant que ce saint Nom était la Pierre qui permettait de réveiller le nom de Dieu perdu en chaque homme. « La nourriture céleste réveille en l’homme le nom de Dieu ».

Jean Reuchlin explique encore que le plus excellent et le plus parfait des noms divins est précisément celui de Jésus : « un nom qui peut être prononcé par un son vocal, qui n’est plus ineffable »23. Dans ce nom, [...] « les lettres représentent Dieu, les syllabes représentent l’Esprit, et la prononciation représente Dieu et homme »24. Il explique que le nom de Jésus, en hébreu יהשוהihsvh, est constitué du tétragramme précité יהוה, qui fait office de voyelles, car Dieu est lui-même un souffle. Au centre de ce tétragramme a été insérée la lettre ש, s, ce qui donne effectivementוה-ש-יה, ih-s-uh. Cette lettre centrale est en fait l’abréviation de אש, es, qui signifie « feu ». Selon Reuchlin, c’est de ce feu que Dieu a dit dans l’Évangile : « Voici mon Fils-bien aimé », le Christ. Il résume le tout comme suit :

« Puisque ces lettres [יהוה] ne peuvent être exprimées ni par la voix ni par aucune autre faculté humaine, il était opportun et il fallait que le Dieu qui devait s’incarner assumât avec la chair, outre ces lettres, un autre caractère. »25

Ainsi, on peut dire sans se tromper, pensons-nous, que ce nom divin représente le mystère de l’Incarnation lui-même.

Outre cela, il semble bien que le nom réunifié, et même les noms de Dieu en général, puissent être utilisés par l’homme et le rendre ainsi tout-puissant. Reuchlin nous explique de quelle façon :

De même que la nature de l’univers exerce naturellement son action sur toutes les choses en particulier, selon un ordre prescrit qui lui est propre, de même la maîtresse prééminente de la nature, la cause de toutes choses, la volonté divine, exerce surnaturellement sa grâce illimitée sur toutes les choses dans leur ensemble et en particulier. Et de même que l’une agit au moyen des qualités du sensible et de manière évidente, de même l’autre agit au moyen des noms intellectuels et sur base d’une alliance, sans proportion, sans ressemblance, sans commune mesure entre la cause et les choses causées.26

Tout le problème reste de les prononcer et, pour reprendre l’expression de Reuchlin, « de prononcer ceux qui sont ineffables ». Sans doute pour cela faut-il recevoir la Torah orale, les voyelles du nom יהוה. Voici ce qu’ajoute Reuchlin :

Et ce qui est important, et peut-être le plus important, mais facile cependant, c’est de dégager et d’affiner la cause des noms, comme on fait pour la laine, graduellement et par une recherche prudente et opportune, jusqu’à ce qu’on saisisse ce qui est caché, et qu’on éprouve, aussitôt, que c’est cela qu’on désire. Car parmi l’énorme amas de noms sacrés, vous en avez entendus certains qui sont ineffables, d’autres qui s’expriment par la voix. Ce qui est ardu, sinon impossible, en tout cas difficile pour nous, c’est de faire, d’un nom ineffable, une parole qu’on prononce par la voix, pour que nous nous en servions avec obéissance, ou pour qu’elle soit à notre disposition ou à portée de main en n’importe quelle situation, quels que soient nos sentiments, dans toutes les épreuves. Il ne nous reste donc qu’à nous laisser conduire par la nécessité pour nous consacrer à un examen attentif et judicieux des noms cités, à condition de rechercher auparavant, par une étude un peu plus approfondie, mais dans les plus brefs délais, la cause de cette si grande puissance et vertu des noms.27

Ce Verbe se revêtit de chair humaine afin que, par sa tangibilité salutaire, nous pussions atteindre davantage son intérêt : en voyant de nos yeux, et en embrassant par chacun de nos sens, ce Verbe que nous pouvions exprimer, non plus par une description de lettres imprononçables, comme jadis, mais par une parole dicible et par un son compréhensible [...].28

En tout cas, une chose est certaine, c’est qu’il s’agit d’une chose concrète, palpable. Dans la lettre citée supra, Cattiaux continuait comme ceci :

[...] Mais il est préférable que je vous fasse voir cela d’œil à œil.29

Rappelons que, dans le verset cité ci-dessus, il disait :

Le saint Nom de Dieu est une réalité vivante et palpable qui peut tout [...]30

Un autre curieux verset du Message Retrouvé parle des fonctions et de l’utilisation de ces Noms :

« Certains Noms de Dieu consument et d'autres arrosent ; certains Noms de Dieu tuent et certains autres donnent la vie ; certains Noms de Dieu montent et certains autres descendent. »

« Ces Noms divins s'écrivent, ils s'épellent, ils se nomment et ils se chantent pour donner les formes et pour les défaire ; c'est un secret que Dieu ne confie qu'aux renoncés qui préfèrent mourir plutôt que tuer. »31

À propos du Nom qui monte et descend, Cattiaux dit encore ceci :

« Selon que le nom de Dieu monte ou selon qu'il descend, c'est une bénédiction ou une malédiction ; car il a un endroit et il possède un envers. Ainsi le même nom peut produire la vie ou il peut faire paraître la mort selon la façon dont il se présente à nous, et aussi selon la façon dont nous nous présentons à lui. »32

Terminons avec une série de versets certes énigmatiques, mais qui semblent résumer tout notre propos :

« Le Père-Dieu, c'est le nom de Dieu inexprimé dans le secret de l'Eau-Dieu. Dieu est caché dans son nom.

L'Eau-Dieu, c'est le nom de Dieu qui descend et qui monte en soi-même. Et son nom est la vie.

L'Esprit-Dieu, c'est le nom de Dieu qui se meut en tous sens sur l'Eau-Dieu. Et son nom est vivant.

Le Corps-Dieu, c'est le nom de Dieu qui se manifeste et qui se fixe dans l'Eau-Dieu. Et son nom se nourrit de la vie. »33

Voici comment Emmanuel d’Hooghvorst commentait le verset xxx, 23 :

Dieu est la vie et le Nom est ce qui la coagule et la forme. Si nous parvenions à informer la vie au moyen de la Parole, nous serions de grands magiciens ; nous connaîtrions le secret du Nom de Dieu, qui se meut dans l'Eau-Dieu.

NOTES :

1. Matthieu, 28, 19.
2. Matthieu, 6, 9.
3. Coran, 27, 30 et passim.
4. Cf. Genèse, 2, 20.
5. Buarī, Sai, 2736.
6. Cf. par exemple Coran, 59, 22-24.
7. Coran, 7, 180.
8. Cf. ibid., 59, 22-24.
9. « Florilège épistolaire », 187, dans Croire l’incroyable, Raymon Arola (éd.), Grez-Doiceau, Beya, 2008, p. 363.
10. Jean Reuchlin, Le verbe qui fait des merveilles, Grez-Doiceau, Beya, 2014, p. 138. Reuchlin renvoie à Jérôme, Lettres, Lettres, XXV et Denys l’Aréopagite, Les Noms divins, passim.
11. Jean Reuchlin, op. cit., p. 138.
12. Ibid., p. 140.
13. Henri-Corneille Agrippa, La philosophie occulte, Paris, Études traditionnelles, 1981, t. 3, p. 33.
14. Pour plus de précisions, nous renvoyons le lecteur à la discussion « Le nom de Dieu », sur le Forum Arca.
15. Emmanuel d’Hooghvorst, Le Fil de Pénélope, t. 1, p. 241.
16. Ibid. Cette dernière phrase est assez proche du adīth prophétique, qui dit que celui qui connaît ces noms par cœur aura accès au Paradis. Cf. supra.
17. Ibid., pp. 145-146.
18. Adonai signifie littéralement « mon Seigneur ».
19. Notons que le terme « Cabale », qui vient de la racine קבל, qbl, signifie d’ailleurs « recevoir ».
20. Zacharie, 19, 4.
21. Charles d’Hooghvorst, op. cit., pp. 116-117.
22. Louis Cattiaux, Le Message Retrouvé, XVIII, 65’.
23. Jean Reuchlin, op. cit., p. 251.
24. Ibid., pp. 251-252.
25. Ibid., p. 253.
26. Ibid., p. 243.
27. Ibid., p. 242.
28. Ibid., p. 244.
29. Louis Cattiaux, « Florilège épistolaire », 187, op. cit., p. 363.
30. Louis Cattiaux, Le Message Retrouvé, XVIII, 65’.
31. Ibid., XXIX, 41-41’.
32. Ibid., XXVII, 46.
33. Ibid., XXX, 22-25.


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