Écrit par : Dante
Titre :  Oeuvres complètes
Date de parution : 1965
Éditeur : Gallimard
 
 

Dante, Œuvres complètes, trad. et comm. d’A. Pézard, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), Paris, 1965, LXVI + 1854 pp.

L’ouvrage réunit les œuvres italiennes de Dante (Vie nouvelle, Rimes, Banquet et, bien sûr, Divine Comédie) ainsi que ses œuvres latines (De l’Éloquence en langue vulgaire, Monarchie, Épîtres, Églogues, Querelles de l’eau et de la terre).

Soulignons la qualité exceptionnelle de la traduction d’André Pézard, faite en un français pétri d’archaïsmes, accessible néanmoins et agréable, qui confère aux textes une apparence d’authenticité, comme si ces œuvres étaient présentées ici en leur langue originale. Il est rare que les traductions ne sentent pas… la traduction ; c’est le cas ici !

Mais c’est évidemment le fond des propos de Dante qui doit nous intéresser. L’auteur ne se présente-t-il pas comme l’égal de l’apôtre Paul en paraphrasant ce dernier : « moi Dante Aligier le plus petit des philosophes » (p. 876) ? Et il écrit sur un de ses propres textes :

« Je crois, chanson, que rares sont, c’est-à-dire peu nombreux, ceux qui t’entendront bien » (p. 345).

Et encore, au sujet de sa Divine Comédie (dont la rubrique « Lu pour vous » propose un compte rendu à part) :

« Il faut savoir que le sens de cet ouvrage n’est point simple, et qu’on le peut dire au contraire polysème, c’est-à-dire doué de plusieurs signifiances ; car autre est le sens fourni par la lettre, et autre est le sens qu’on tire des choses signifiées par la lettre. Et le premier est dit littéral, mais le second allégorique, ou moral, ou anagogique. » (p. 794)

Notons aussi cette courte diatribe contre les pusillanimes, susceptible d’être adressée à tous ceux – ils sont actuellement assez nombreux en Occident – qui se croient obligés de refuser, pour ainsi dire par principe, toute légitimité aux dires proférés par les Anciens, ou représentants des grandes traditions philosophiques et religieuses :

« Il y a maintes gens si lâchement obstinés qu’ils ne peuvent croire que les choses puissent être sues, ni par eux ni par d’autres ; et les esprits de cette sorte jamais par eux-mêmes ne cherchent ou ne raisonnent, jamais ils ne se soucient de ce qu’un autre dit. Et contre ceux-là Aristote parle dans le premier livre de l’Éthique, disant qu’ils sont insuffisants écouteurs de la morale philosophie. Ces gens vivent toujours en grossièreté comme bêtes, désespérant de tout enseignement. » (p. 490)

Certains extraits évoquent des thèmes chers à la cabale hébraïque. Celle-ci parle par exemple de la vision initiale (initiatique) à laquelle vient s’ajouter, à la fin, l’entendement de la parole. C’est peut-être ce à quoi Dante fait allusion quand il commente un de ses poèmes d’amour :

« Cette seconde partie se divise en deux : dans l’une je parle de ses yeux, lesquels sont principe d’amour ; dans la seconde je parle de sa bouche, laquelle est fin d’amour. » (p. 40)

Et dans le texte suivant, le sens attribué aux voyelles semble bien conforme à celui que leur prêtent les cabalistes hébreux :

« Ce vocable, à savoir “auteur”, author sans la lettre c à la troisième place [allusion au latin auctor], peut descendre de deux principes : l’un est un verbe très délaissé en grammaire par l’usage, qui somme toute signifie “lier des mots”, à savoir auieo. Et si l’on regarde bien ce verbe en la première de ses formes, on notera manifestement que lui-même en donne signifiance, étant fait seulement d’un lien de paroles – à savoir cinq voyelles sans plus, qui sont âme et lien de toute parole – et composé d’icelles par manière d’enroulement ; en sorte qu’il trace l’image d’un lien. Car commençant par l’a, il se retourne de là sur l’u, et vient droit par l’i sur l’e, d’où se retournant il revient à l’o ; si bien que vraiment il représente cette figure : a e i o u, laquelle est figure de lien. Et en tant qu’“auteur” vient et descend de ce verbe, il se prend seulement pour les poètes, qui par l’art musaïque ont leurs paroles liées. » (pp. 449 et 450)

Citons un dernier extrait, sur la « rencontre des sectes », selon l’expression de l’auteur du Fil de Pénélope (t. i, p. 239) :

« Marc dit que Marie-Madeleine et Marie-Jacobé et Marie-Salomé allèrent au monument pour trouver le Sauveur, et ne le trouvèrent pas ; mais elles trouvèrent un jeune homme vêtu de blanc qui leur dit : “Vous demandez le Sauveur, et je vous dis qu’il n’est pas ici. Cependant n’ayez crainte ; mais allez, et dites à ses disciples et à Pierre qu’il les précédera en Galilée ; et là, vous le verrez, comme il vous a dit.” Par ces trois femmes, l’on peut entendre les trois sectes de la vie active, c’est-à-dire les Épicuriens, les Stoïciens et les Péripatéticiens ; qui vont au monument, c’est-à-dire au monde présent qui est réceptacle de corruptibles choses ; et ils demandent le Sauveur, c’est-à-dire la béatitude, et ne la trouvent pas […]. Cet ange est notre noblesse, qui vient de Dieu comme il a été dit, qui parle dans notre raison, et dit à chacune de ces sectes, autrement dit à quiconque va cherchant béatitude dans la vie active, qu’elle n’est pas ici ; mais qu’il aille, et le dise aux disciples et à Pierre, c’est-à-dire à ceux qui vont le cherchant et à ceux qui se sont égarés – comme Pierre qui l’avait renié –, qu’en Galilée il les précédera, c’est-à-dire que la béatitude ira devant nous en Galilée, autrement dit dans la spéculation [contemplation]. Galilée vaut à dire autant comme blancheur [g£la, “lait”]. Blancheur est une couleur pleine de clarté corporelle plus que nulle autre ; et ainsi la contemplation est plus pleine de clarté spirituelle que toute autre chose qui soit ici-bas. » (pp. 512 et 513)

Imprimer