Écrit par : Cervantes
Titre :  Don Quichotte - Nouvelles
exemplaires
Date de parution : 1949
Éditeur : La Pléiade
 
 

Cervantes, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, Nouvelles exemplaires, trad. J. Cassou, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1949, 1600 pp.

« Très souvent on lit le Quichotte en ignorant la cabale, de la même façon que le Quichotte lui-même lisait ses romans de chevalerie » (Le Fil de Pénélope, t. I, Beya, p. 153).

Depuis qu’Emmanuel d’Hooghvorst, dans un article qui a fait date, attira l’attention de ses lecteurs sur le sens profond de l’œuvre de Cervantès, les études cabalistiques et alchimiques du Quichotte et des Nouvelles exemplaires se sont heureusement multipliées : on en trouvera dans les revues La Puerta (en castillan) et Le Fil d’Ariane (en français), ainsi que dans El Caballero del oro fino, ouvrage capital du cervantiste Pere Sánchez Ferré (mra, Barcelone, 2002, 160 pp.).

L’œuvre de Cervantès, comme celle de Rabelais, conjugue avec bonheur deux facettes : d’une part, elle est d’une lecture à tout point de vue agréable et hilarante, les aventures et rebondissements rocambolesques se succédant sans répit, du début jusqu’à la fin ; d’autre part, même pour un lecteur non averti, elle s’avère assez vite bourrée d’allusions scripturaires, philosophiques et littéraires, et donc bien plus savante que ce à quoi il aurait pu s’attendre au vu des bouffonneries annoncées occupant le devant de la scène.

Que l’on remplace partout, dans le Quichotte, le mot « chevalier » par « cabaliste », et on lira déjà d’un tout autre œil, et moins distraitement, ce que dit et fait son héros apparemment si risible :

« Si l’on voulait suivre mon conseil, on userait d’un moyen et d’une précaution à laquelle Sa Majesté est à cette heure bien loin de penser. […] Il ne faudrait sinon que Sa Majesté fît proclamer à son de trompe que tous les chevaliers errants qui vagabondent à travers l’Espagne se rendissent à sa cour à un jour assigné. Quand il n’en viendrait qu’une demi-douzaine, tel d’entre eux pourrait s’y trouver, qui à lui seul serait capable de ruiner toute la puissance du Turc. » (ii, 1)

Quant aux Nouvelles exemplaires, dans son « Prologue », Cervantès écrit de manière on ne peut plus claire :

« Elles enferment quelque mystère caché, qui en rehausse le prix » (p. 1073).

Peut-être ce sens n’apparaît-il nulle part aussi explicitement que dans « Le Licencié de verre », nouvelle quasi entièrement dépourvue d’intrigue, où le héros, un licencié universitaire, devenu fou comme un autre don Quichotte, s’imagine être non plus de chair mais de verre, et craint donc tout contact susceptible de le briser :

« Il demandait qu’on lui parlât de loin et qu’on lui fît ainsi toutes les questions que l’on voudrait : il y répondrait avec plus de sagesse, étant homme de verre et non de chair ; car le verre est une matière subtile et délicate, et l’âme par lui s’exerce avec plus de promptitude et d’efficace que par le truchement du corps, qui est d’une substance pesante et terrestre. D’aucuns voulurent éprouver si ce qu’il disait était vrai et ainsi on lui posa de nombreuses et difficiles questions, à quoi il répondait spontanément avec une très grande vivacité d’esprit. Les plus grands savants de l’Université et les professeurs de médecine et de philosophie s’émerveillèrent grandement de voir qu’un sujet, capable d’une aussi extraordinaire folie que de se croire de verre, pût contenir un entendement si grand qu’il faisait à toute question une réponse appropriée et ingénieuse. » (pp. 1265 et 1266)

Cet étonnement rappelle celui des scribes et pharisiens posant à Jésus de nombreuses questions épineuses qu’il parvient toujours à résoudre sur-le-champ. D’ailleurs, on devine nettement, entre les lignes, que ce licencié de verre parcourant la ville à pied, partout interrogé par ceux qu’il rencontre et leur répondant, est un second Jésus dont l’à-propos émerveille constamment ses interlocuteurs.

Nous comprenons que Cervantès fait allusion, dans cette nouvelle, au corps de gloire du futur adepte, corps en voie de régénération, car les philosophes comparent souvent ce processus à la fabrication du verre. Nous renvoyons le lecteur notamment à Basile Valentin, L’Azoth des philosophes, « Déclaration d’Adolphe » (Bibliothèque des philosophes chimiques, Beya, t. II, p. 124).

Imprimer