Écrit par : J. d'Espagnet
Titre : La Philosophie naturelle
rétablie en sa pureté,
L’Ouvrage secret de la
philosophie d’Hermès
Date de parution : 2007
Éditeur : Beya
 
 

J. d’Espagnet, La Philosophie naturelle rétablie en sa pureté, L’Ouvrage secret de la philosophie d’Hermès, Beya, Grez-Doiceau, 2007, XXXVI + 192 pp.

L’excellente préface de Didier Kahn nous servira de fil conducteur pour présenter cette édition des deux précieux traités qu’il faudrait recopier en entier si l’on voulait citer tout ce qu’ils contiennent d’intéressant.

Jean d’Espagnet (1564- après 1638) « grande figure et auteur majeur de l’Alchimie[1] » fut « Avocat au Parlement de Bordeaux, président à mortier, ami de Montaigne. Il se retire des affaires en 1616 ou 1617, pour se consacrer aux lettres, à l’alchimie et la philosophie naturelle[2] ». L’époque fleurissait d’idées nouvelles ; Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Paracelse, mais aussi Gérard Dorn et Francis Bacon, mettaient à l’honneur l’alchimie, la kabbale chrétienne et même Hermès Trismégiste. « Et c’est au milieu de ce bouillonnement d’idées que Jean d’Espagnet composa ses ouvrages, rédigés dans un élégant latin propre à séduire les lettrés de tout bord[3] ».

« En 1623, il publie simultanément sous l’anagramme « Spes mea est in agno : Mon espoir est dans l’agneau », un traité de philosophie naturelle « L’Enchiridion physicae restituae : Manuel de la physique restaurée » et un traité d’alchimie, l’ « Arcanum hermeticae philosophiae opus : L’œuvre secrète de la philosophie hermétique », sous l’anagramme « Penes nos unda Tagi : Les eaux du Tage sont ma demeure », allusion à l’Espagne, mais aussi à l’or que roulent les eaux du Tage [4] ».

Les deux traités se présentent sous forme de canons. Pour plus de clarté nous avons cité les canons de l’Enchiridion avec le signe « § », et avec le mot « canon » en toute lettre pour l’Arcanum. Nous avons abondamment cité la préface, qui est référencée en notes de bas de page (en chiffres romains) - alors que les citations de l'auteur sont référencées directement dans le texte. Nous avons également adapté la ponctuation pour une meilleure compréhension.

Il n’est pas inutile aux amateurs de savoir que Louis Cattiaux recommandait particulièrement à la lecture les canons 48, 49, 50 et 77, de l’Arcanum hermeticae philosophiae.

La traduction française de Jean Bachou parue dès le XVIIe siècle, contient un « Discours » placé avant l’Enchiridion : « La philosophie que d’Espagnet entend restituer dans sa pureté, dit-il, c’est celle des prédécesseurs d’Aristote, les philosophes présocratiques, qui ont suivi la voie des Chaldéens, des Égyptiens, d’Orphée, de Zoroastre et d’Hermès Trismégiste, c’est-à-dire de toute la Prisca philosophia, cette chaîne de philosophes divinement inspirés qui reçurent avant la venue du Christ une partie de la Religion chrétienne, qu’ils ont transmise plus pure, étant plus proches des origines[5] ».

Voici à présent quelques extraits issus de ces ouvrages :

Le ciel, principe formel, est lumineux et spirituel, principe de mouvement et de chaleur, de génération et de vie ; la terre, principe matériel, est ténébreuse et corporelle, principe d’engourdissement et de froid, de corruption et de mort[6]. (§25 : Et ce sont là les deux termes du monde inférieur).

Mais la forme universelle, la forme des formes qui infuse les formes de toutes choses dans la matière disposée à cet effet, c’est la lumière créée au premier jour, puis concentrée dans le corps du Soleil : l’esprit universel n’est autre que sa vertu vivifiante et secrètement féconde[7]. (§ 7 : Ceux qui auront pénétré dans les secrets de la nature, avoueront que cette nature seconde servant la première est l’esprit de l’univers, c’est à savoir une vertu vivifiante et féconde de cette lumière qui fut créée au commencement et laquelle a été unie et recueillie au corps du soleil... § 28 : afin que la lumière, y étant plus resserrée, agît plus efficacement... afin que la lumière créée, dont la nature approche de la gloire divine, procédant de l’unité incréée, agît et se répandît sur les créatures par l’unité).

Cette lumière créée, issue de l’incréé, est la source de la vie[8]. (§ 31 : La terre était oisive et solitaire... car la chaleur de la lumière éparse auparavant, était débile et impuissante pour pouvoir triompher de la matière humide et froide... § 32 : Or la matière première, comme aussi les éléments, ont reçu leur forme de cette lumière... Et c’est la lumière du Soleil... qui est la forme des formes, ou la forme universelle... car quelque individu que ce soit, renferme en soi une étincelle qui est de la nature de cette lumière... § 34 : Car la lumière est le véhicule et le canal de la vie... et les âmes des choses vivantes sont des rayons de la lumière céleste... excepté seulement l’âme de l’homme, qui est un rayon de la lumière surcéleste et incréée).

Quant à la privation, d’Espagnet se refuse à la considérer comme un principe : il lui substitue l’amour, médiateur entre la matière et la forme[9]. (§ 45 : Car la nature étant privée de sa première forme, soupire après une nouvelle : mais la privation n’est rien autre purement que l’absence de la forme, à qui... le nom auguste de principe de la nature n’est point dû, mais bien mieux à l’amour, qui est le médiateur ... entre le beau et le difforme, et entre la matière et la forme. § 32 : Cette lumière... fait la même fonction que le sang fait en nous, y établissant l’amour et l’accord, non pas la haine et la répugnance comme veut l’opinion vulgaire... § 62 : Car la nature a mis et caché au profond des choses, un amour attrayant et aimantin par la vertu duquel elles attirent les vertus et propriétés des choses supérieures et célestes... concourant avec le souffle fécond qui inspire la vie aux choses).

La vie est l’union étroite de la matière et de la forme, union qui repose sur celle de l’humide radical et de la chaleur (ou feu) inné. C’est l’esprit caché dans la semence qui devient la forme du mixte. (§ 167 : C’est le propre des corps d’engendrer, mais on peut bien dire qu’en remuant les organes ...avec harmonie et proportion, les formes la disposent à la génération... et y renferment un rayon de lumière et une étincelle de la vie, comme un trésor précieux... Ce qui avait été un esprit secret et formel dans la semence, devient forme dans le mixte. Ainsi ce qui était caché dans le sein de la nature devient manifeste et est tiré de la puissance à l’acte).

L’humide radical, lui, est une portion très pure de la matière parfaitement digérée, d’une nature intermédiaire entre le spirituel et le corporel. (§ 213 : Le feu formel est un rayon céleste, qui se lie et s’unit à l’humide radical et celui-ci est une portion très pure de la matière parfaitement digérée et comme une huile purifiée et rectifiée, et en quelque sorte changée en une nature spirituelle dans les organes de la nature comme dans les alambics. § 224 : La chaleur naturelle et l’humide radical sont de différente nature ; car celle-là est toute solaire et toute spirituelle, et cettui-ci est moitié spirituel, moitié corporel, participant de la nature éthérée et de l’élémentaire... Or c’est lui dans lequel le mariage du ciel et de la terre a été premièrement solennisé et par lequel le ciel demeure dans le centre de la terre).

C’est le lien de la matière et de la forme[10]... (§ 223 : Cette humeur radicale est donc le vrai et le prochain sujet de la génération et de la vie, dans lequel premièrement s’allume le feu de la nature et l’acte formel, lorsque la matière est bien disposée... Ce levain radical, caché dans le profond des mixtes, est le lien du mariage contracté entre la lumière et les ténèbres, entre la matière première et la forme universelle... §225 : L’humide radical est le baume universel, c’est l’élixir très précieux de la nature, c’est le mercure de la vie sublimé dans l’excellence... remède précieux et universel de la vie humaine).

(§ 89 : Ce feu de la nature, enté dans les mixtes, a son siège naturel dans l’humide radical, et le siège principal de celui-ci est particulièrement dans le cœur... centre du microcosme... et parce qu’il est le fils et le lieutenant du soleil, il fait dans le petit monde ce que le soleil fait dans le grand... § 214 : Dans les semences des choses, il y réside beaucoup d’humide radical, dans lequel comme dans son aliment, est contenue une certaine étincelle de feu céleste... là où est le principe constant de la chaleur, là aussi se trouve le feu, et certes nous devons appeler l’humide radical le principe constant de la chaleur...).

[L'humide radical] possède quelque chose d’immortel qui se conserve jusque dans les cendres[11]. (§ 216 : l’humeur radicale résiste à la tyrannie de notre feu ; car elle ne s’évapore point... mais restant après la destruction du mixte, elle demeure attachée opiniâtrement dans les cendres. Ce qui est une preuve de sa parfaite pureté).

Témoin le verre, fait à partir de cendres liquéfiées, qui est comme un corps éthéré[12]. (§ 217 : L’expérience a découvert aux verriers, peu versés dans les choses de la nature, le secret de l’humide radical caché dans les cendres... qu’ils font fondre par le moyen de la flamme dont la pointe aiguë... rend manifeste cet humide qui y était caché... Il faut donc que ce soit cet humide inséparable de la matière qui se termine en ce beau corps diaphane, comme en un corps éthéré).

(§ 220 : Il y a de l’apparence que cette racine de la nature, qui demeure inviolable après la ruine et la destruction du mixte, soit un vestige et une portion très pure et immortelle de la matière première, telle qu’elle était immédiatement après qu’elle eut été informée et imprimée du caractère divin de la lumière... il a été nécessaire que la base des choses corruptibles fût incorruptible et que dans le fond et l’intérieur des corps fût cachée une racine ferme, une assiette cubique, toujours stable et immortelle... C’est le levain de son immortalité... Dans le jour de l’embrasement universel, les éléments étant purgés par l’examen du feu, l’Eternel, ... a voulu survivre à la ruine du monde, afin que de cette pure et inviolable matière, il pût renouveler et réparer son ouvrage... pour le rendre éternellement glorieux et incorruptible).

Quels sont exactement les rapports qui existent entre l’Enchiridion et l’Arcanum ?... d’Espagnet les concevait comme liés l’un à l’autre[13]. Jean Bachou affirme dans son « Discours » préliminaire p. 15 : « Outre qu’il y a un traité de la Philosophie d’Hermès qui y est compris, les principes de physique qu’il rapporte sont entièrement appuyés sur ceux de la chimie. »

Il est vrai que « l’alchimie intervient ... à de nombreuses reprises dans ce traité, que ce soit lorsque l’esprit de Dieu sépare alchimiquement (hac arte protochimica) la lumière des ténèbres... »[14]. (§20 : Il semble que cette division des eaux supérieures d’avec les inférieures, exprimée dans la Genèse, ne soit qu’une séparation du subtil d’avec le grossier, et comme une division de l’esprit d’avec son corps nuageux et crasse... § 21 : Il était convenable que ce chaos et cet abîme d’ombres et de ténèbres, ou cette matière très prochaine du monde, fût aqueuse ou humide... afin que la masse entière des cieux... pût être plus commodément étendue... la continuité des corps provient de l’humeur... Mais le feu agissant contre l’humeur par sa chaleur la raréfie... et condense le terrestre... et c’est par cet art chimique et résolutif, que l’esprit incréé et ouvrier du monde, a distingué les premières natures confuses des choses).

De même à propos du limon, mélange de terre et d’eau[15]. (§ 69 : La nature puise ses éléments plus généraux de ces deux denses parties ; c’est à savoir de la terre et de l’eau, avec lesquelles elle façonne ses vaisseaux et ses organes corporels ; car par le mélange des deux, il se fait un limon ; or ce limon est la matière plus prochaine des choses engendrées, car il est comme un petit chaos dans lequel tous les éléments se trouvent confondus et en puissance. Notre premier père même fut créé du limon, et ensuite toute génération humaine a procédé du limon. Dans la génération des animaux, du sperme et du menstrue il se fait un limon... Dans la production des végétaux, les semences se changent premièrement par la putréfaction en un limon subtil... Dans la dissolution chimique des métaux et dans la création de la pierre et du secret philosophal, l’on tire tout premier un limon de la semence purgée et mélangée, de l’un et de l’autre sexe).

L’évocation de l’humide radical débouche, elle aussi, sur son application à l’alchimie[16]. (§ 225 : L’humide radical est le baume universel, c’est l’élixir très précieux de la nature, c’est le mercure de la vie sublimé dans l’excellence... Or ceux qui savent tirer un trésor si précieux du sein et du profond des productions de la nature où il est caché, et le développer des écorces et des couvertures des éléments sous lesquelles il est retenu, ceux-là, dis-je, se glorifient d’avoir recouvert le remède précieux et universel de la vie humaine).

On ne peut pas ne pas s’en souvenir lorsqu’on lit au canon 48 de l’Arcanum[17] (recommandé par Cattiaux). Canon 48 : Cette liqueur sèche et très précieuse (le mercure des philosophe) est l’humide radical des métaux ; c’est pour cela que quelques Anciens l’ont appelée verre ; car le verre se fait de l’humide radical qui adhère opiniâtrement dans les cendres des choses et qui ne cède qu’à la violence d’un feu extrême, néanmoins notre mercure naturel et caché au centre de la substance, se tire et se manifeste par le feu très bénin de la nature quoique plus long.

Les deux traités sont donc à lire en étroite relation l’un avec l’autre[18].

[1] p. VII.
[2] p. XI.
[3] p. XXII.
[4] p. XIII.
[5] p. XXII.
[6] p. XXIII.
[7] p. XXIII.
[8] p. XXIII.
[9] p. XXIV.
[10] p. XXVI.
[11] p. XXVI.
[12] p. XXVI.
[13] p. XXVIII.
[14] p. XXVIII.
[15] p. XXVIII.
[16] p. XXIX.
[17] p. XXIX.
[18] p. XXIX

Imprimer