Colloque E. Canseliet - 4 et 5 décembre 1999
 
 
Emmanuel d'Hooghvorst
*
Cabale et Alchimie

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Dans l’histoire de l’Alchymie, il arrive fréquemment que certains mystérieux personnages marquent leur siècle d’une empreinte puissante. Leur parole, en effet, possède un poids très différent de celle des autres hommes; il en va de même de leurs écrits dont l’importance ne se mesure que peu à peu, souvent d’ailleurs après leur départ, lorsque, comme dit Le Message Retrouvé de Louis Cattiaux :

Ceux-là ne parlent plus et n’agissent plus personnellement, car ils demeurent en repos et en acte avec l’Inconnaissable qui est (16, 37’).

Evidemment, il faut beaucoup d’intuition et beaucoup de courage pour pressentir et pour oser reconnaître le premier qu’une oeuvre inconnue est belle. C’est pourquoi, avant toute présentation de ce personnage haut en couleurs que fut mon ami le Baron d’Hooghvorst, je tiens à féliciter et à remercier publiquement, au nom des lecteurs de France, de Belgique, de Suisse, du Canada et d’Afrique, M. B. Renaud de la Faverie qui a, sans préjugés, et dès le début, ouvert sa revue : « La Tourbe des Philosophes » aux articles qui allaient devenir avec ceux de la revue belge « Le Fil d’Ariane » et de la revue espagnole « La Puerta », le livre que beaucoup d’entre vous connaissent déjà et dont le succès mérité va grandissant. J’ai nommé LE FIL DE PÉNÉLOPE [1] paru bien sûr aux éditions La Table d’Emeraude, et illustré de manière combien originale et allégorique par le dessinateur Bruno del Marmol.

Il faut le dire d’emblée: c’est dans les trois tomes du Fil de Pénélope – le troisième tome va sortir incessamment – que l’on découvrira le véritable Emmanuel d’Hooghvorst, celui dont la signature EH trahit l’expérience alchimique, celui aussi dont la Muse se révélant tout au long de ces pages mystérieuses a dit :

“ Un nitre naturel y fait farine d’or vivant ” [2].

C’est là qu’il a livré au public le condensé de l’enseignement qu’il a dispensé si généreusement à ses amis pendant tant d’années. Je dis bien ses amis car cet homme avait beaucoup d’amis, liés à lui par une gratitude profonde. Tous peuvent attester qu’ils se sont enrichis à son contact.

Je ne suis qu’un parmi ceux-là, et je vais essayer de vous communiquer quelques renseignements humains, quelques détails ou anecdotes que l’on ne saurait trouver dans les livres, mais aussi, et c’est le plus important, je vais m’appliquer à démontrer la profondeur, la cohésion et la densité des choses qu’avait à dire aux hommes celui qui contemplant son or chymique mûrissant s’écriait :

Ô cuire le vent en un mot !
O VIS ! Texte d’Or ! Sexe pur !
Face d’ Art ! Pesante chymie !
Miel cuit ! Eon en sel !
Sentier de lumière !
Suante école !
Sang pourpre qui coule en fusion métallique ! [3]

*

J’ai rencontré pour la première fois le Baron d’Hooghvorst en juin 1971, il y a presque 30 ans. Il avait 57 ans, j’en avais 21. C’était l’époque un peu folle où, après Mai 68, le monde entier semblait envahi de hippies. Quant à moi, croyant fièrement échapper à ce mouvement-là, je m’étais imprudemment lancé avec toute ma jeunesse dans celui (tout aussi chevelu, rassurez-vous!) de la non-violence et de la spiritualité d’un disciple de Gandhi, Lanza del Vasto qui, en ce temps-là, était connu dans tout le globe. Or, c’est ce célèbre Lanza del Vasto, ami de Cattiaux, qui avait rédigé la préface du Message Retrouvé de Louis Cattiaux. C’est donc dans ce cadre ascétique d’une petite communauté Lanziste près de Namur que s’est présenté un jour un visiteur qui dénotait grandement dans le paysage car il n’avait apparemment rien d’un ascète. Que venait-il donc faire en cet endroit d’où tout coussin et toute bouteille de vin étaient exclus? Il venait, en réalité, nous faire découvrir Le Message Retrouvé de son ami Louis Cattiaux.

Ses premiers mots, je m’en souviendrai toujours : « Actuellement, presque plus personne ne croit que Dieu parle ». J’ai tendu l’oreille, intrigué, mais j’étais alors, vous le pensez bien, à dix mille lieues d’imaginer que ces propos m’amèneraient à l’alchymie. Pourtant c’est bien le même homme, devenu un ami, qui me conseillait, 20 ans plus tard, de traduire et de publier le traité du fameux hermétiste Robert de Valle (du XVIème s., mort en 1567) intitulé De Veritate et Antiquitate Artis Chemicae. Or, que trouve-t-on dès les premières pages de ce traité? Une citation curieuse du Psaume 12, verset 7 : 

Les paroles du Seigneur sont des paroles pures, un argent examiné au feu dans un vase de terre, purgé sept fois. 

Robert de Valle en propose du reste, différentes traductions, comme celle-ci, par exemple : 

Les oracles de Dieu sont des paroles pures, un argent desséché en terre dans l’aludel, ou en poussière, refondu sept fois.

Et l’auteur de commenter ensuite la vertu pétrifiante et purifiante du vase salsugineux appelé aussi sublimatorium... 

POT DE SEL D’OR GUÉRISSANT TOUT, dit EH dans son introduction au Message Retrouvé.

Voilà pourquoi je ne crains pas d’affirmer, après 30 ans d’amitié profonde, que le thème principal de l’enseignement du Baron d’Hooghvorst peut se résumer à ceci :

NE JAMAIS SÉPARER L’ALCHYMIE, QUI EST DE TOUT TEMPS, DE L’ÉTUDE DE LA PAROLE SACRÉE.

Il a en effet montré et prouvé l’unité de la Parole des Maîtres. La préface du Fil de Pénélope I le dit clairement :

« Certains s’étonneront peut-être en lisant le sommaire de ce recueil, où voisinent les Contes de Perrault et l’Odyssée, la Cabale judaïque et l’Enéide, les Tarots et l’Alchymie ; mais la diversité des thèmes n’est pas nécessairement dispersion. Depuis les origines, les Maîtres de la grande famille de la Gnose de l’Homme se sont transmis, en la révélant à l’humanité exilée, l’identique message prophétique d’Hermès; mais ces maîtres de la Parole l’ont exprimé diversement, chacun à sa manière … »

« Un mystique et un spéculatif », diront ceux qui ne considéreront que son amour de l’Ecriture sacrée. Mais dans les milieux mystico-spirituels, certains lui reprocheront sa continuelle application à l’alchimie et son intérêt constant pour les textes hermétiques ou maçonniques. Tous ceux qui, comme lui, ont confirmé la sainteté de la pierre philosophale et la matérialité de la science sacrée, ont rarement été compris de tous !

« Un sot n’a lu le sens d’un mystérieux silence du pesant Phosphore mûrissant » [4] (Aphorisme 63).

Ceci est tiré du recueil de 106 aphorismes appelés "Aphorismes du Nouveau Monde". Ce texte qui constitue comme la quintessence du Fil de Pénélope, est le dernier écrit de EH. Il a été publié dans le Fil d’Ariane et se retrouvera dans le Fil de Pénélope, tome III.

Mais revenons un peu en arrière : Au temps où il était encore alerte, quelle énergie n’a-t-il pas dépensée en discours, en cours d’hébreu (il a formé plusieurs dizaines d’hébraïsants en leur apprenant d’abord les rudiments de la grammaire puis en les guidant vers l’exégèse et cela pendant plus de 20 ans. Je repense avec émotion à tous ces devoirs qu’il a corrigés. C’est un travail harassant, et souvent il l’a accompli dans la solitude, en se demandant si cela produirait des fruits. Dois-je ajouter que tous ces cours étaient gratuits ?), quelle énergie n’a-t-il pas dépensée, dis-je, en lettres, en trajets, en réunions, pour aller simplement rappeler à ceux qui vaquaient à l’Ecriture Sainte que celle-ci, dans son sens le plus profond, traitait d’une réalisation corporelle et de la régénération physique de l’homme ? Combien de fois aussi n’a-t-il pas conseillé aux jeunes débutants en alchymie d’étudier d’abord l’Ecriture et de prier le Père des Lumières afin de connaître les principes de la philosophie hermétique avant de s’empresser au laboratoire ?

Rosée du Sage, révélée sève, l’éduque. Si Hué se fait sensible, c’est l’âme parue en dire d’or mûri (Aphorisme 59).

Mais tout ce dévouement à la cause de l’hermétisme, ce don de lui-même, ce service rendu aux chercheurs, tous ces encouragements qu’il prodiguait, ses avertissements aussi, tout cela, il l’a accompli avec un humour et une vivacité, avec une vitalité souvent si originale et parfois tellement amusante, que peu de gens se rendaient compte, au moment même, de ce que cela lui coûtait. Peu mesuraient ce qu’ils recevaient de lui. C’est qu’il avait énormément à donner ; il savait, lui, ce qu’il donnait. Mais les bénéficiaires, eux, ne savaient rien, ne voyaient rien, ou presque rien. C’est ce qui fait aussi que beaucoup ont passé leur chemin sans apercevoir grand chose, que beaucoup même l’ont repoussé avec hostilité, se privant ainsi sans le savoir d’un grand trésor ...

Un trésor enterré gît inconnu de la science des sots (Aphorisme 20).

Maintenant que le porteur de ce trésor révélé est parti de ce monde, en mai dernier, à l’âge de 85 ans, il m’est particulièrement doux de définir en quoi consistait ce trésor, pour ceux qui, franchissant les quelques barrières destinées à écarter les curieux, les indignes et les superficiels, s’approchaient simplement de lui peu à peu.

    * Eh, bien, il y avait en tout premier lieu l’amitié. Emmanuel d’Hooghvorst était vraiment un ami, un ami qui vous aidait réellement lorsque vous faisiez appel à lui. Le conseil qu’il vous donnait alors n’était pas nécessairement celui auquel vous vous attendiez, mais si vous suiviez à la lettre cette proposition déroutante, vous aviez le sentiment, que dis-je, la certitude, que le ciel et l’enfer s’unissaient alors pour produire un miracle dans les plus brefs délais. Ce que je vous dis là n’est pas une figure de style, croyez-le bien ; je l’ai expérimenté et d’autres aussi, et j’en suis encore à me demander souvent :
« dans tel ou tel cas, comment a-t-il fait ? »

    * Ensuite il y avait l’érudition; indubitable! Cette érudition qui le faisait cependant s’exprimer avec une simplicité, mais une précision extraordinaires, dans des domaines pourtant si éloignés de ses préoccupations profondes, qui suscitaient chez lui des réflexions d’une telle cohésion, que l’on se sentait presque forcé par la conviction qu’il faisait naître en son interlocuteur, tout en le laissant toujours libre, j’insiste. Dois-je ajouter qu’avec son Jupiter en Verseau conjoint à Uranus en maison III, il possédait une faculté d’assimilation extraordinaire ? Il avait tout lu, tout vu, tout entendu !

    * Son expérience également provoquait l’admiration. Ce dont il parlait, il l’avait expérimenté : il connaissait la forêt parce qu’il avait fait de l’exploitation forestière. Il parlait de l’Afrique parce qu’il y était allé ; de la prospection de l’or au Congo parce qu’il en avait fait. De la résistance à l’occupant pendant la guerre parce qu’il s’était lui-même retrouvé peu de temps en prison pour cette raison. Il m’a souvent rappelé, du reste, que ce qui lui avait sauvé la vie, à lui, contrairement à certains de ses amis, c’est qu’il s’était plongé à l’époque dans l’étude du Néoplatonisme. Vous pensez bien que lorsqu’il m’encourageait à traduire Porphyre, à découvrir Jamblique ou Plutarque, c’est parce qu’il les connaissait lui-même parfaitement. Il avait par exemple traduit L’Antre des Nymphes de Porphyre en entier. Il était, faut-il le rappeler, remarquable latiniste, helléniste, hébraïsant, aramaïsant et il lisait l’arabe. D’une liberté d’esprit aussi puissante et communicative, il n’émanait, bien sûr, aucun sectarisme ; et lorsque je vous disais tout à l’heure qu’il recommandait l’étude de l’Ecriture Sainte, il va de soi que c’est au sens large, en n’excluant aucun des prophètes ou poètes inspirés de toutes les nations et de tous les temps! Aucun esprit de clocher chez lui, puisque dans chaque tradition particulière il retrouvait l’éternel fil conducteur !

    * Bref, un grand homme, une toute, toute grande pointure! Mais ce qui est beaucoup moins connu, c’est que ce descendant du célèbre général d’Hooghvorst qui avait chassé les Hollandais en 1830 et était à la base de notre Belgique actuelle, ce grand homme, cet érudit raffiné, avait renoncé à la plupart des avantages mondains que devait conférer le destin à un être aussi brillant. Ce qui a été décisif dans sa vie, dans sa carrière, ce fut sa rencontre avec le fameux Louis Cattiaux qu’il a découvert avec son frère Charles grâce a un flair particulièrement développé, car Cattiaux faisait tout pour se rendre inaccessible, soit en jouant le charlatan soit en affichant un caractère impossible ! Alors, Cattiaux fut-il réellement son maître, me demanderez-vous ? Je sais parfaitement comme vous que quand il s’agit d’alchymie on ne traite pas de ces choses à la légère : avoir un maître signifie bien plus que suivre les leçons de quelqu’un dans un auditoire. Ma réponse sera claire et sans la moindre ambiguïté : « Oui, Cattiaux fut bien le maître de EH » « Comment le savez-vous ? » m’objectera-t-on. Mais tout simplement parce qu’il l’a écrit lui-même dans Le Fil de Pénélope, tome I, page 157, lorsqu’il commente le conte de Riquet à la Houppe. Voici ce passage :

En réfléchissant profondément à tout cela, le lecteur trouvera dans notre conte bien des choses curieuses. Il se souviendra aussi de ce texte de Zoroastre que notre maître Louis Cattiaux a cru bon de mettre en épigraphe de son Message Retrouvé.

Oui, Cattiaux fut bien le maître de EH qui a passé toute sa vie à faire connaître l’oeuvre de Cattiaux en s’effaçant derrière elle. Il s’est évertué, avec son frère, à diffuser et à garder vivant son enseignement. C’est pourquoi il s’est préoccupé de publier de nombreux fragments des lettres de cet auteur auquel il devait tout. Quelqu’un l’aurait même entendu dire un jour de Cattiaux : « J’espère qu’il sera content ! »

Mais il y a plus : en rapprochant certaines citations éparses du Fil de Pénélope on est amené à de curieuses déductions : Voyons par exemple, tome I, p. 21 :

Ne dit-on pas des disciples de notre Philosophie qu’ils sont fils d’Hermès ? Il s’agit bien d’une filiation légitime et patriarcale et non d’une simple façon de parler.

Il est donc clair, ici, que notre ami n’entend pas le mot «filiation» à la manière profane ou superficielle. Or à la page 219 du même tome, dans sa remarquable étude sur les tarots, que nous dit-il ?

Mais expliquer les hiéroglyphes de toutes les lames ne serait pas conforme aux intentions de l’auteur. Il a voulu, en effet, que ce livre demeurât scellé, que le sens de ces figures savantes ne fût pas divulgué.

Nous espérons cependant qu’on voudrait bien nous pardonner cette publication si on la jugeait indiscrète. Nous avons voulu rendre un hommage filial à la mémoire oubliée du SAVANT IMAGIER dont les hiéroglyphes enchantent notre étude.

A qui ferait-on croire qu’ici, exceptionnellement, Emmanuel d’Hooghvorst traiterait de son hommage filial de manière frivole, sans avoir pesé ses mots?

D’ailleurs pour lui, pas de doute :

La cabale est transmise et demeure inaccessible en dehors de cette transmission  [5]

C’est parce qu’il tenait ce Fil dont sont tissées toutes les fables qu’il a pu revivifier toutes les traditions avec un ton qui sonne si juste, et qui s’imposera avec le temps.

Venons-en maintenant, si vous le voulez bien, au problème de la pratique alchymique. Car il est évident que la personnalité d’Emmanuel d’Hooghvorst doit moins nous intéresser que sa Muse et ses propos sur le Grand Oeuvre lui-même. On ne reconnaît l’arbre qu’à ses fruits, et les écrits doivent être testés, soumis à l’épreuve, indépendamment de toute considération personnelle, fût-ce même de l’amitié ...

Où plut le siècle d’or, se fit promesse si grande que nulle demande ne la ruiner[6].

En lisant et en relisant ses bonnes pages les notions se clarifieront peu à peu avec l’aide de Dieu. Certaines choses apparaissent néanmoins à la première lecture et suscitent notre curiosité.

Ceux qui se sentent concernés par le travail du laboratoire, apprécieront, je crois, le passage que voici :

Lorsque le beau mercure brut apparaît coulant au vase bien disposé, il importe au disciple ébloui, de voiler immédiatement l’Athanor. La lumière est abiotique et c’est dans les ténèbres les plus totales que doit germer l’or pur et vivant. Voilà l’épreuve de la foi, la foi du charbonnier qui maintient la chaleur extérieure de l’Athanor sans jamais contempler l’avancement de l’oeuvre, dans l’attente patiente des signes démonstratifs indiquant le moment où l’oeuf va se briser de lui-même, de l’intérieur [7].

D’aucuns pourraient s’imaginer que la chose est purement symbolique. Ceux-là, pour être fixés, n’ont qu’à lire alors la note 4 au bas de la même page :

Un ami très proche nous avoua avoir failli une première fois. Victime comme Orphée de sa curiosité, il avait au moyen d’une lampe de poche éclairé son vase le temps d’un éclair pendant la cuisson, pour en contempler le contenu. Tout fut perdu et il fallut recommencer.

En visitant le palais de Jacques Coeur à Bourges on peut y voir un bas-relief montrant un alchimiste couvrant son athanor. On ne le remarque pas toujours car on lui tourne le dos en entrant dans la cour.

Voilà donc la réalité de la pratique ici clairement affirmée. Quant au laboratoire lui-même, le texte suivant démontrera que EH a gardé sur la question la même discrétion que tous ses prédécesseurs :

L’alchimie est une science très secrète ; c’est la raison pour laquelle elle a été niée par beaucoup de gens qui la confondent avec une chimie chimérique. C’est d’ailleurs le piège dans lequel tombent presque tous les jeunes chercheurs n’y voyant qu’une chimie vulgaire d’un genre particulier. La tentation est grande pour les débutants d’expérimenter toutes sortes de recettes, travaillant sur des substances minérales ou végétales comme le cinabre, la galène, le plomb, les sels, sans avoir au préalable étudié, Dieu aidant, les principes de la Philosophie hermétique. On s’empresse au laboratoire avant de posséder les fondements de cette science. Si l’oeuvre des vrais disciples de l’Art est bien le fruit d’une manipulation physique, leur laboratoire est aussi secret que la nature même dans ses opérations cachées [8].

Mais être discret n’empêche pas de donner de précieux conseils aux débutants sur l’or, sa nature, sa vertu, et surtout sur l’attitude qu’il convient d’avoir face à la science d’Hermès si l’on ne veut pas, un jour, se retrouver ruiné :

Qui peut croire à la vertu de ce précieux métal ? Il a des modes d’être bien différents les uns des autres. Il faut apprendre à les reconnaître pour ne pas s’égarer à sa recherche. Le métallique est certes le plus parfait quand il sonne clair, mais il importe de l’étudier sous tous ses aspects, de l’or damné à l’or glorieux qui ressuscite les morts. Il ne suffit donc pas de manipuler celui des orfèvres. S’efforcer d’atteindre le secret du Grand Oeuvre, c’est méditer longtemps, Dieu aidant, sur la nature de l’or, afin de savoir d’où il vient et où il doit aller, selon l’Art, car l’or a une origine et une fin, c’est-à-dire, une perfection. Il faut comprendre enfin quelle est sa parenté avec le genre humain et comment il peut devenir une médecine. Nous avons souvent déçu bien des débutants entichés de chimie vulgaire et trop pressés de tripoter ceci ou cela, sans connaissance véritable de la nature minérale, en leur conseillant de commencer par la prière, l’offrande de soi, la méditation et l’étude des livres afin de percevoir l’intention des Philosophes, cachée sous le dédale des mots. Il nous est arrivé aussi de décevoir les présomptueux en leur disant que le Grand Oeuvre étant un don divin, le seul talent des hommes n’en pourrait jamais venir à bout. Il faut donc, pour le comprendre et le mener à bonne fin, l’aide de ce génie bienfaisant qui découvre pour certains, le texte des livres scellés. S’il s’agit d’un don divin, le plus simple et le plus pauvre des hommes peut espérer l’obtenir; mais ceci paraît souvent dérisoire à bien des chercheurs dont la cervelle est farcie de complications étrangères à l’unique levain de la cabale chymique [9].

De même, EH met en garde les ignorants qui cherchent l’or spirituel sans pouvoir le fixer, et s’il s’écrie :

A dol d’un sot, morne chymie, (F. de P. I p. 48)

Il explique :

Les compagnons d’Ulysse sont les chercheurs égarés. Pas un seul d’entre eux n’atteindra la fin du périple en l’île d’Ithaque. Cela est réservé au seul Télémaque pour les raisons que nous avons dites. Homère, dans ces malheureux compagnons, a donc voulu décrire les ignorants. Ici, ils cherchent l’or spirituel, comme on dit, sans pouvoir ni savoir le fixer ni le corporifier. Ils se complaisent dans cet état mystique au point qu’« ils ne veulent plus rentrer (en l’école d’Hermès) ni donner de nouvelles ». Que n’ont-ils poursuivi l’odeur de la rose chymique en ce sentier des vrais disciples, où l’âne d’Isis porte son dessein secret ? (F. de P. I p. 45).

Quant à la fameuse connaissance de feu, EH se contente de dire :

Parmi les termes équivoques des alchymistes, le Feu en est certainement un des plus mystérieux. Les maîtres ne se sont-ils pas proclamés Philosophes par le Feu? Le très savant Fulcanelli avait évoqué Dieu le Feu, en faisant allusion au fameux cri de guerre des chevaliers chrétiens partant à la première croisade. Tel est précisément le sujet des textes dont nous proposons la lecture [10].

Nous terminerons cet aperçu par un avertissement qui ne peut tomber dans l’oreille d’un sourd :

Celui qui a contemplé cet Electrum au cours d’une admirable fusion créatrice en a les yeux éblouis pour toujours, il est désormais perdu pour le monde [11].

Cette école secrète est prison d’amour gardant ce Graal. (Aphorisme 10).

Voilà, il est temps de conclure. Evidemment je n’ai pas épuisé le sujet en si peu de temps. J’espère avoir suscité le désir de connaître ce grand témoin de la science d’Hermès qui a écrit peu avant son départ :

Ô sage étude d’or ! Ta muse, du salut m’a tout dit ! (Aphorisme 38)

et :

J’ai cuit le charme de la lune et j’ai bu l’or potable, dit l’élu des Philosophes (Aphorisme 1).

Ce fut pour moi un grand honneur d’avoir pu rendre un hommage public à cet ami auquel va toute ma reconnaissance et que j’espère vivement retrouver dans l’autre monde. Une toute dernière citation si vous le permettez, et qui nous rend plein d’espoir :

Le renouveau des recherches et des études de la science d’Hermès, qui se dessine aujourd’hui, nous permet d’espérer que d’autres viendront après nous approfondir et compléter cette ébauche. Pouvons-nous laisser longtemps encore dormir, ensevelies dans l’ignorance, les révélations anciennes dont nous devrions être les héritiers ? Demeurerons-nous encore longtemps dans l’indigence intellectuelle, sans passé et sans souvenir, c’est-à-dire sans éducation ? L’hermétisme est une vieille histoire, une histoire qui a commencé avec celle du monde, et croyons-nous pouvoir oeuvrer utilement, sans avoir reconnu nos ancêtres ? [12]

Je vous remercie de votre attention.

*



[1] Emmanuel d’Hooghvorst, Le Fil de Pénélope t. I, éd. La Table d’Emeraude, Paris 1996.
[2] Op., cit., Le fil de Pénélope, p. 141.
[3] Op., cit., Le fil de Pénélope, p. 81.
[4] Emmanuel d’Hooghvorst, Aphorismes du Nouveau Monde. Paru dans la revue Le Fil d’Ariane, 1999, n° 63-64. p. 9.
[5] Op., cit., Le fil de Pénélope, Refais la boue et cuis-là, p. 304.
[6] Op., cit., Le fil de Pénélope, Le Maître Chat ou le Chat Botté, p. 140.
[7] Op., cit., Le fil de Pénélope, Le fil de Pénélope III, p. 51.
[8] Avant propos d’Emmanuel d’Hooghvorst à la traduction de “ De la vérité et de l’ancienneté de l’Art chimique ” de Robert de Valle, traduit par Stephane Feye. Paru dans Le Fil d’Ariane n° 46-47. p.142.
[9] Op., cit., Le fil de Pénélope, Le Fil de Pénélope III, p. 43.
[10] Emmanuel d’Hooghvorst, Le Fil de Pénélope t. II, éd. La Table d’Emeraude, Paris 1998. Note d’introduction d’ Emmanuel d’Hooghvorst dans l’article sur L’Escalier des Sages, de Barent Coenders van Helpen, p. 248.
[11] Op., cit., Le Fil de Pénélope t. II, éd. La Table d’Emeraude, Paris 1998. Le Manuel de la Pierre Philosophale de Paracelse, p. 99.
[12] Op., cit., Le fil de Pénélope, Le Fil de Pénélope IV, p. 55.

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