Lettre au néophyte
 
   
 
 
 

  

 

 

 Introduction

Introduction adressée au néophyte, au curieux qui n’a encore aucune connaissance de la littérature alchimique ou traditionnelle, à tout visiteur intrigué, interpellé par les thèmes de ce site…

On trouve dans nombre d’enseignements issus des civilisations les plus diverses un point commun : la volonté d’entrer en contact avec l’âme du monde. De quoi s’agit-il ? Quel que soit le nom que l’on lui donne, l’âme du monde se trouve dans l’air que nous respirons. Cette notion peut paraître étonnante, et pourtant, si l’homme peut rester un mois sans manger et plusieurs jours sans boire, il ne survit que quelques minutes sans respirer. C’est bien la preuve qu’il se trouve dans l’air quelque chose qui dépasse l’ordre du mécanique ou du chimique, quelque chose qui donne la vie. D’après nous, cet être vit et pense.

Traditionnellement, il est également à l’origine de la parole. Rien d’étonnant dès lors à ce que la parole ait à son tour du pouvoir sur lui. L’une des premières démarches dans le domaine spirituel est naturellement de s’adresser à cette âme du monde. De s’y adresser non pas par des techniques sophistiquées, mais le plus simplement du monde, en lui parlant notre propre langue, et en sachant que nos paroles, ce simple mélange de consonnes et de voyelles, vont ébranler l’être qui se trouve dans l’air.

Nous ne sommes pas des « gourous », ni des maîtres à penser. Nous sommes simplement quelques personnes qui réfléchissent sur ce qu’il y a de commun à toutes les traditions. Partant du constat que notre époque souffre de plus en plus d’une confusion du langage, nous nous donnons pour but de clarifier les grandes notions traditionnelles. Nous sommes en effet effrayés par l’éloignement actuel du monde du centre de la tradition. On entend d’ailleurs régulièrement dire que l’on va toujours de plus en plus loin ! Nous sommes bien d’accord avec cette formule… la question reste cependant à notre sens de savoir de plus en plus loin de quoi nous nous éloignons. C’est précisément de ce centre que nous voulons nous rapprocher, en rendant aux termes employés par les textes traditionnels l’exactitude et le poids qu’ils méritent, ce qui permettra aux chercheurs, nous l’espérons, une compréhension plus profonde et plus savoureuse de la pensée des auteurs traditionnels.

Cher néophyte, qui que tu sois, que tu sortes de l’adolescence ou que tu aies cinquante ans, nous ne pouvons que te conseiller ceci : si tu as une religion – quelle qu’elle soit –pratique-la! Et souviens-toi qu’à l’origine de cette religion se cachent un ou des sages, et qu’aussi déformée, usée par le temps, ou même tombée dans les sables de l’oubli qu’elle puisse paraître, elle contient des enseignements extrêmement précieux. Étudie les textes fondateurs de la religion de tes pères ou de celle de ton choix, et apprécie le poids de chacun des mots que renferment ces trésors.

 

 

 

 

1. Pourquoi lire les Écritures Sacrées ?

Celui qui cherche la Vérité est en quête d’un mystère qu’il ne connaît pas encore. Selon les philosophes hermétiques, la Vérité est un don secret que la Divinité décide – ou non, d’octroyer à ceux qui la désirent.

Il existe aussi des hommes qui ne cherchent plus, mais qui possèdent. Ils ont en main le secret de l’homme et de Dieu et en laissent un témoignage à leurs contemporains ou aux générations futures. Le chercheur n’acquiert donc pas progressivement la Vérité par son étude, mais se trouve plutôt comme dans une salle d’attente. On doit lui ouvrir. Il lui est toutefois possible, même dans cette attente, de s’approcher d’une certaine manière de ce mystère. Comment ? En étudiant le témoignage de ceux qui l’ont véritablement rencontré, qui ont incarné ou hébergé ce Dieu. Si la lecture de ce témoignage n’équivaut nullement à la connaissance de Dieu, elle est bien loin d’être inutile. C’est un peu comme si l’on étudiait la description d’une personne qu’on ne connaîtrait pas et que l’on devrait aller chercher à la gare : on ne peut pas dire que l’étude nous fait connaître la personne, mais elle peut pour le moins nous donner l’espoir de plus en plus assuré de la reconnaître au moment où elle se présentera à nous.

Une deuxième raison d’étudier les Écritures est l’amour de leur Mystère qu’elles peuvent instiller en nous. En lisant, en étudiant et en aimant les Écritures inspirées, nous attirerons la bienveillance de leurs auteurs, et nous leur manifesterons notre volonté de nous retrouver avec eux dans l’autre monde. Car, comme dit un hadith du prophète Mahomet : « tu seras avec ceux que tu as aimés ».

 

 

 

 

2. Qu’est-ce que la religion ? Comment l’envisager ?

Le terme religion, issu du latin re-ligare (re-lier) désigne un ensemble de rites et d’enseignements censés nous relier à Dieu ; et qui peut être conçu de deux manières différentes : vu de l’extérieur ou vu de l’intérieur.

* Celui qui considère la religion de l’intérieur la définit comme un ensemble de pratiques et de textes qui le mènent soit à la connaissance soit à l’amour de la divinité.

* Celui qui la voit de l’extérieur peut l’envisager de deux façons :

- Soit dans une optique d’histoire des religions, de façon analytique, en mettant le doigt sur ce qui distingue les religions les unes des autres – ce qui amène à une certaine dispersion,

- Soit selon une approche moins historique et moins analytique, en étudiant en quoi les religions se ressemblent. Cette démarche permet d’arriver à des conclusions absolument remarquables, à l’observation d’une unité bien plus grande que ce que l’on pourrait imaginer de prime abord. Elle permet également de mettre en valeur une chose très peu connue de nos jours : le fait que les religions enseignent une connaissance et une science. Elle mène finalement au constat que les Anciens n’ont jamais eu de dissension sur la définition de Dieu, mais uniquement sur les pratiques particulières et le culte à rendre aux manifestations de cette divinité dans le monde.

 

 

 

 

3. Qu’est-ce que la tradition ?

Le mot tradition vient du latin tradere, transmettre, composé de trans (à travers) et de dare (donner). Il s’agit donc à proprement parler de faire passer une chose de main en main. Comme de nombreux mots, le mot tradition a perdu son sens original et sa saveur au fil du temps, et l’on croit souvent qu’une tradition est uniquement la transmission de valeurs, de rites, de doctrines. Pourtant, au sens premier, la tradition est la transmission d’un objet concret. Il s’agit réellement de la transmission d’un héritage d’un père à son fils (qu’il soit charnel ou spirituel). Cet héritage peut être un secret très concret, comme un lieu – le lieu où se trouve un trésor – ou de véritables connaissances.  On peut dire que les grandes religions sont des traditions, quoiqu’elles ne soient pas les seules à exister. Les contes pour enfants, par exemple, sont écrits dans un langage traditionnel. Ce que les traditions semblent, par ailleurs, avoir de commun c’est qu’elles transmettent non pas la chose directement mais le voile de la chose. C’est ici que cela se complique : l’objet lui-même n’est transmis souvent que sous forme d’images. Hériter d'un parchemin indiquant la piste d'un trésor n'est pas encore trouver ce trésor. Cela explique pourquoi, souvent, au cours de l’histoire, la tradition se désincarne, se dessèche, voire se perd.

 

 

 

 

4. Quelles sont les différentes positions possibles face au phénomène divin  ou religieux ?

Essayons de passer en revue de manière complète et exhaustive les différentes positions possibles.

1. Il y a premièrement l’athéisme. Quoi qu’on en pense, l’athéisme est un dogme. L’athée affirme en effet de façon dogmatique que quelque chose n’est pas. L’absence de Dieu est un dogme auquel on peut autant être prié de croire que de ne pas croire. La position de l’athée est difficile pour une seconde raison : cette négation le nie lui-même, puisqu’en niant son créateur, il nie qu’il est créé.

2. On a ensuite les agnostiques. On peut l’être de deux façons :

- Penser que l’on ne sait pas, et que personne n’a jamais su et ne saura jamais, ou
- Penser que l’on ne sait pas, mais que certains, eux, savent peut-être...

3. Après l’agnostique vient le déiste, qu’il convient de ne pas confondre avec le croyant. Le déiste se définit par sa croyance en une divinité. Il peut soit la considérer comme inconnaissable, soit penser que Dieu peut être approché, étudié, connu par des études de type philosophique, théologique, ou autres. Ce Dieu « étudiable » peut à son tour soit être considéré comme absent et désintéressé des affaires des hommes, soit considéré comme intéressé par les hommes. On a alors un Dieu avec qui l’homme peut entrer en contact.

Dans cette catégorie seulement – celle qui affirme qu’il y a un Dieu, que l’on peut le connaître ou du moins l’approcher, et qu’il s’occupe des hommes – se trouve encore une catégorie à part dans laquelle se trouve la grande majorité des CROYANTS des religions : celle qui dit qu’il y a un Dieu et que ce Dieu se manifeste par une parole dans l’homme. Elle professe que Dieu se trouve dans l’homme et ne peut être trouvé que dans l’homme. À partir de ce moment-là, Dieu se manifeste ou se fait connaître par la parole, qu'on l’appelle poésie chez les païens, ou prophétie dans les traditions judéo-chrétienne et musulmane, ou encore oracle, etc. C’est ainsi que sont nés les grands livres de notre humanité que sont la Baghavad gita, le Tao te king, la Bible, le Coran, l’Énéide, etc.

Les membres de cette toute dernière sous-catégorie s’en remettent donc par définition au témoignage d’autres hommes, censés être les connaisseurs qui les ont précédés, et que l’on appelle, selon le cas, gourous, saints, sages, prophètes, poètes, etc. Ils leur transmettent également une pratique religieuse, et sont à l'origine des diverses traditions.

Seuls ces croyants-là, ces déistes qui s’en remettent à l’autorité d’un homme qui a connu mieux qu’eux, sont à proprement parler des croyants.

La question de savoir si ces religions sont vraies ou pas, et le fait qu’elles se combattent ou non est une autre affaire…

 

 

 

 

5. La foi peut-elle subsister sans la science ?

Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, et ce souvent même à l’intérieur des religions, les traditions enseignent à la base une connaissance.

Prenons le cas du Christianisme. Il est basé sur le témoignage, c'est-à-dire la science, la connaissance des douze Apôtres. Le mot gnosis que l’on traduit souvent par gnose, mais qui peut également se traduire par science, apparaît vingt-neuf fois dans le Nouveau Testament.

Malgré cette omniprésence dans les textes, la science est actuellement presque toujours séparée de la foi. Comment expliquer ce phénomène ? La cause paraît se trouver dans les deux camps :

- le camp des scientifiques modernes qui, ne trouvant pas dans la religion de quoi connaître, se sont tournés vers d'autres choses plus vérifiables à leur sens, persuadés que la tradition ne possède pas de base scientifique ou expérimentée.

- le camp religieux où l’on a enseigné qu’il fallait croire mais ne jamais expérimenter, corroborant ainsi la croyance des premiers en l'inexistence d'une quelconque science dans les affaires religieuses.

Ces deux dogmes sont faux, et il est urgent de se souvenir que dans les premiers siècles du christianisme par exemple, science et foi étaient totalement liées. Les religions les ont peu à peu séparées, espérant empêcher les critiques venant de l’extérieur en prétendant qu’elles n’enseignaient qu’une foi et se limitaient à elle. Elles ont cru ainsi survivre, mais sont en réalité devenues de plus en plus ignares, pendant que les sciences devenaient, par le fait même, athées.

 

 

 

 

6. Pourquoi l’ésotérisme ?

Commençons par revenir sur le sens du mot ésotérisme. On entend de nos jours par ce terme un ramassis de choses irrationnelles, un peu curieuses, floues ou permettant de s’envoler dans des paradis étranges.

Or, étymologiquement, le terme ésotérisme signifie simplement l’intérieur d’une chose, tandis que l’exotérisme en signifie l’extérieur. Aucune chose n’est dénuée d’un extérieur et d’un intérieur, et l’intérieur ne peut pas exister sans l’extérieur. Une orange ne peut pas exister sans sa pelure et la pelure d’orange ne peut pas exister sans l’orange.

L’ésotérisme n’est donc que l’intérieur d’une tradition. Étant donné que la plupart des traditions sont révélées, c’est-à-dire revoilées (recouvertes d’un voile) et expliquées en paraboles, il est tout à fait normal qu’elles aient, d’autre part, un intérieur. Et pourquoi ce double enseignement ? Afin de parler à tous leurs croyants, tout en réservant le sens profond, voire secret, à un petit nombre d'entre eux. Il y a en effet des gens plus profonds que d’autres spirituellement, et d’autres qui restent à la surface des choses. Agir autrement serait violenter et la chose et les gens.

Si l’ésotérisme est réservé à une petite élite, l’exotérisme est, pour sa part, proposable à tous les croyants.

Il est dès lors impensable de se dire ésotériste sans accepter l’exotérisme. Ce serait un non-sens, car il ne peut y avoir d’intérieur sans extérieur. On peut par contre être exotériste sans même deviner la présence de l’ésotérisme.

 

 

 

 

7. Les rituels sont-ils nécessaires ?

Les rituels ont une nécessité certaine car ils s’adressent à l’homme charnel, c’est-à-dire l’homme extérieur, qui a besoin de signes extérieurs d’une science qui est réservée.  Les rituels sont donc par essence exotériques, tout en contenant un enseignement ésotérique aussi.

Il y a deux grands écueils à éviter :

  • rejeter les rituels sous prétexte qu’ils ne sont qu’une écorce idolâtrique et qu’une image, et se priver par-là de tout un enseignement traditionnel.
  • ou croire au contraire que ces rituels ont une vertu « magique » et efficace par eux-mêmes, et devenir idolâtre.

Cette question se résout rarement, et l’on trouvera toujours des gens qui idolâtreront l’extérieur des choses et les rituels, et des gens qui rejetteront les rituels et les images à cause de leur aspect extérieur.

Les premiers prennent le doré pour l’or, les seconds rejettent l’or à cause du doré.

 
 

 

 

 

8. Qu’est-ce que la magie ?

La magie est une science très ancienne, certainement originaire de Chaldée. Cette science traditionnelle est passée chez les Égyptiens. C’est également la science des célèbres Rois Mages dont on parle dans les Évangiles. Elle s’est maintenue pendant tout le Moyen Âge, mais a été confondue, à partir de la Renaissance, avec la sorcellerie et le commerce avec des esprits de bas étage.

La magie traditionnelle a malgré tout subsisté, comme en témoignent, par exemple, les écrits de l’abbé Trithème. L’Inquisition et ses chasses aux sorcières pourraient ne pas être étrangères au remplacement progressif, dans les écrits des disciples de Paracelse, du terme magie par l’expression sagesse traditionnelle.

Venons-en à la définition de cette magie traditionnelle : Il s’agit d’une science qui accomplit des miracles. On en trouve des exemples dans les Évangiles, où, quoi qu’on veuille en penser, la transformation de l’eau en vin est une opération magique. Des pouvoirs donnés à certains hommes divins ont trait à cette magie traditionnelle qui est totalement oubliée de nos jours malgré que Jésus lui-même ne nie nullement que certains pourront accomplir de plus grands miracles que lui ! (Cfr Jean, chap. 14)

 

 

 

9. Quelle est la différence entre foi et croyance ?

Ces termes sont souvent confondus, et pourtant, il paraît y avoir une unanimité des différentes traditions à leur propos. Mais du fait qu’elles emploient des termes différents pour les décrire, leur définition est embrouillée et mérite d’être ici éclaircie.

La croyance est une faculté humaine, assez proche de la crédulité, mais que l’on peut pourtant considérer comme une grande qualité. Il s’agit en effet de la faculté qu’a un être humain d’admettre comme possible une hypothèse de départ qui semble de prime abord, au grand nombre ou à lui-même, très difficile, voire impossible à croire. Or, du fait qu’une hypothèse de départ est généralement absolument nécessaire pour aboutir à une découverte scientifique, cette crédulité peut à long terme se révéler très constructive.

Cette croyance a, même au sein des religions, souvent été confondue avec ce que l’on appelle la foi dans la tradition chrétienne, hnwm) emunah dans la tradition juive, etc.

Cette foi est un don reçu, une chose concrète, que l’on peut réellement tenir dans sa main. Pour donner un exemple, quelqu’un qui croit qu’un jour il rencontrera une belle et qu’il se fiancera et se mariera, est croyant. Celui qui a rencontré la belle et qui en a reçu un anneau, a la foi. Tous les jours, en regardant cet anneau, même s’il ne voit plus cette belle qui est partie dans un pays lointain, il ne peut absolument pas croire qu’il a rêvé. Tandis que le croyant peut rêver, voire rêve réellement. La foi n’est pas un rêve, elle est conjointe à l’espérance de la charité, c'est-à-dire de l’amour et de la connaissance amoureuse et expérimentale avec ses sens.

Il ne semble toutefois pas que l’on puisse obtenir la foi sans avoir cru d’abord que la chose fût possible. La croyance est donc une condition à la foi.

 

 

 

 

10. Qu’est-ce que le péché originel ?

Précisons avant tout que si l’expression péché originel est une notion chrétienne, la réalité qu’elle décrit existe dans toutes les traditions, sous d’autres noms.

Commençons par la définition chrétienne : Le mot péché vient du latin peccatum, que certains étymologistes traditionnels ont fait venir de pes catenatus, pied enchaîné. Il s’agit donc d’un problème physique, exactement comme l’exprime son synonyme grec ¡m£rthma « hamartèma », qui signifie « manquer son but ». On pourrait donc dire que le péché originel est le fait d’être arrivé dans une matière à laquelle nous n’étions pas initialement destinés, d’être né dans un corps animal. On fait aussi venir ce mot de pellicatum (prostitution ou séduction).

Puisqu’il s’agit d’un problème physique, il faut éviter d’en faire un problème moral, que l’on tenterait de résoudre par un comportement moral. C’est plutôt un remède physique qui s’avère nécessaire, comme le symbolise la communion des Chrétiens. Les alchimistes affirment d’ailleurs que leur pierre philosophale est une médecine. Dans « La Nuée sur le sanctuaire », d’Eckartshausen décrit le péché comme se trouvant dans le gluten du sang. Il met donc, lui aussi, en évidence le caractère physique de cette réalité.

Dans la tradition juive, on parle plutôt d'exil. Ce terme décrit le fait de n’être pas dans sa propre patrie.

Quant au philosophe néoplatonicien Porphyre, il dit que malgré le caractère désagréable du lieu où l’on se trouve, on risque de perdre la volonté d’en sortir. On retrouve ce phénomène de l’oubli chez les Grecs, puisque selon Platon, la philosophie est une réminiscence, une science permettant de nous souvenir de cette patrie d’où l’on vient.

Attardons-nous sur la différence entre la notion traditionnelle de péché et certaines notions modernes.

Aujourd'hui on fait souvent de l’homme l’aboutissement d’une longue évolution ayant progressivement amélioré sa structure moléculaire. Jamais on ne trouve mention de cette notion de chute, d’exil.

Dans tous les enseignements traditionnels, on trouve au contraire la notion d’un accident primordial qui a éloigné l’homme du but auquel il était destiné. Cette notion de péché originel est évidement la condition de tout enseignement spirituel ou religieux traditionnel, puisque, pour tenter de retrouver quelque chose, il est avant tout nécessaire de savoir ou d'admettre qu'on l'a perdu.

Si, avec les modernes, l’on refuse cette notion de péché ou d’accident, la nécessité d’un retour disparaît, et l’intérêt de l’enseignement traditionnel capable de l’opérer s’efface lui aussi.

 

 

 

11. Le corbeau et le renard

Présentons, pour terminer, une interprétation possible de la célèbre fable de La Fontaine, selon le sens hermétique :

« Maître corbeau sur un arbre perché » : il est donc bien le Maître, et se trouve perché en haut d’un arbre qui pourrait bien être la colonne vertébrale.

« Tenait en son bec un fromage » : le fromage est ce lait universel de la sainte Église coagulé. Il s’agit de la parole, qui est bel et bien perchée en haut : dans la bouche.

« Maître Renard » : Maître Renard n’est en réalité encore qu’un disciple, mais il va bientôt devenir maître à son tour par la réception de cette parole transmise. Le Renard est un cœur pur : rein-hart, tandis que le « corps beau », c’est Vénus, le beau corps de la parole.

Maître Reinhart, le cœur pur « par l’odeur alléché », lié par l’inspiration de cette parole divine, « lui tint à peu près ce langage ». Pourquoi « à peu près » ? Parce que l’on ne dit jamais exactement la Chose, on ne peut que la décrire en paraboles, en images.

« Bonjour Monsieur du Corbeau, que vous êtes joli, que vous me semblez beau » : évidemment… Monsieur, ou Mon Seigneur, c’est toujours la belle parole. Sans elle, il ne peut y avoir que de mauvais jours.

« Sans mentir » : car cette parole est pure et débarrassée métaphysiquement de tout mensonge. Hermès ajouterait : « certaine et très véritable ... »

« Si votre ramage se rapporte à votre plumage » : ce qui prouve bien qu’il s’agit d’une question de parole ailée, comme Homère le dit souvent. Sans plume, peut-on écrire un mot ?

« Vous êtes le phœnix des hôtes de ces bois » : cet oiseau renaissait trois fois de ses cendres lorsque l’on allumait son nid, de même que le Christ s’est redressé trois fois lorsqu'il portait le bois de sa croix. Comme dans : « Au clair de l'allume », on cherche la plume et on cherche le feu.

« À ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie, et pour montrer sa belle voix », cela montre que le sens dépend de la vocalisation. Dans la tradition hébraïque, les consonnes solitaires nécessitent l’esprit, la vocalisation, pour être comprises non tristement. Nous avons ici la Torah orale, appelée Torah chè bealpé hp-l(b$ hrwt.

« Il ouvre un large bec et laisse tomber sa proie » : voilà la transmission du Verbe. Le corbeau est alors comme Isaac l’ancien qui transmet sa bénédiction à Jacob le nouveau. Cette transmission est irréversible.

« Le renard s’en saisit et dit : » : cette parole est donc bien matérielle.  Elle prend corps. C'est ce qui arrive quand on saisit ce que disent les sages.

 « apprenez, mon bon monsieur », car c’est un bon Seigneur qui lui a transmis.

« que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Cette leçon vaut bien un fromage sans doute » : cette leçon est évidement une manière de lire et de recevoir la parole. Mais ce n’est pas tout, cette parole doit être confirmée, plus tard, par un serment, et c’est pourquoi il est dit :

« le corbeau honteux et confus, jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus » : une fois ce serment assuré, on ne peut pas la transmettre une deuxième fois.

 

 

 

 

 

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