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  • Caroline Thuysbaert | La Beauté des Nombres dans l'école de Trithème - Mens sana in corpore sano | Miroir d'Isis, 22
 
La Beauté des Nombres dans l'école de Trithème
« Mens sana in corpore sano »
 
Repoussons les choses laides et compliquées et consacrons
tous nos loisirs à la quête de l’unique beauté [1].
 
 
 
 
 

Introduction historique

Le fameux abbé Trithème a hérité de la scientia perennis. Il eut comme maître Libanius le Gaulois, lui-même élève de Pelagius, auteur de L'Anacrise et moine d'origine byzantine.

Trithème naquit vers 1462, à une époque où les érudits et les initiés de Constantinople fuyaient vers l'ouest pour échapper à l'invasion turco-musulmane. Cette « fuite des cerveaux », pourrait-on dire, donna lieu à une Renaissance d'origine cabalistique en Europe occidentale, dont l'érudit de Spanheim allait être un acteur central.

Faut-il donc s'étonner de retrouver vivante, dans l'école de Trithème [2], la science pythagoricienne entière ? Est-il nécessaire d'expliquer cette similitude d'enseignement par l'histoire, les événements et une filiation « syncrétiste » ? Les véritables connaisseurs appartiennent à une chaîne initiatique et à un monde où les contingences géographiques, chronologiques, politiques et sociales n'ont plus de prise.

Hippotès a donc engendré un fils semblable à lui, agile et rapide, chevauchant les vents auxquels il avait été préposé par Zeus, comme les Adeptes de l’Art chymique qui se déplacent avec l’agilité et la rapidité du vent jusqu’aux extrémités du monde. Préposé aux vents, les faisant souffler à son gré [3].

Le spiritus de Dieu souffle où il veut, illumine qui il veut, amène à toute la connaissance de la vérité celui qu’il a couvert d’ombre par sa volonté divine [4].

Pour cette raison, il ne sera pas surprenant de lire que Libanius souhaite à son disciple d'être un chrétien pythagoricien :

Quant à vous, restant fidèle seulement dans le Christ, soyez pythagorique [5] dans le seul Un que vous pouvez licitement. Portez-vous mieux qu’un alter ego en celui qui, seul, est toujours [6].

Préambule

Mens sana in corpore sano. Cette sentence, chantée en chœur par la foule et récupérée par des sociétés commerciales, semble incarner le canon moderne de la beauté : un alliage entre la culture du corps (corpore sano) et le développement personnel de l'individualité (mens sana). Cette double santé s'obtient, croit-on, par la pratique tant vantée du sport omniprésent [7], et par une certaine spiritualité mêlée à tant de sauces différentes, qu'on finit par ne plus connaître son parfum et son véritable goût, celui de la sagesse unique et universelle [8].

Tout le monde omet de citer le vers entier de Juvénal : Orandum est ut sit mens sana in corpore sano [9], « il faut prier pour que la mens saine soit dans un corps sain ». Les seules forces de l'homme ne suffisent donc pas pour obtenir cet équilibre.

Qui soupçonne aujourd'hui que ce proverbe galvaudé résume à lui seul tout le mystère philosophique, au vrai sens du terme ? Le mystère de la beauté des nombres et de la béatitude suprême ? Le mystère du ternaire et du quaternaire ? Celui de la régénération complète (en corps, âme et esprit) de l'homme déchu ?

C'est à travers les écrits de l'école de Trithème, et surtout ceux de Gérard Dorn, que nous allons essayer de le démontrer.

Remarque préliminaire sur le terme de « beauté »

Le mot français « beauté » a la même étymologie que l'espagnol belleza. En latin, bellus est le diminutif de duenos, lié au mot bonus, « bon ». La bonté et la beauté sont donc une seule et même qualité [10].

Le Thesaurus Linguae Latinae de Robert Estienne fait dériver bonus de benus, du verbe beare, « rendre heureux, béat ».

Selon saint Isidore de Séville, bonus vient de venustas corporis, « la beauté du corps » (liée à la déesse Vénus). Le mot beatus, toujours selon lui, est la contraction de bene auctus, « bien augmenté », bien créé, ce qui nous ramène au mystère des nombres.

Du point de vue étymologique, on peut donc considérer comme synonymes : beauté, bonté, vénusté et béatitude, vertus dont on hérite quand on est « bien augmenté », autrement dit quand on a reçu un « bon supplément » [11].

O terque quaterque beati

O terque quaterque beati quis ante ora patrum Troiae sub moenibus altis contigit oppetere [12].

Ô trois et quatre fois heureux ceux qui, auparavant, ont pu, sous les hauts remparts de Troie, gagner les faces des pères.

Pourquoi Énée parle-t-il d'une béatitude par le Trois et le Quatre [13] ? Virgile utilise le terme beatus lié à la notion de beauté, comme expliqué supra.

Cette citation nous ramène au proverbe si mal connu : mens sana in corpore sano. Pourquoi ?

Gérard Dorn, alchymiste belge du XVIe siècle, disciple de Trithème par deux intermédiaires (Paracelse et Adam von Bodenstein), dit dans l'épître dédicatoire de sa traduction d'un ouvrage de Paracelse, la Philosophia magna [14] :

Ter itaque beatus, quaterque sanus quod animo corporeque dicitur.

C'est pourquoi on dit trois fois béat et quatre fois sain, parce que c'est en animus et en corps.

En un autre endroit, Dorn dit :

Les trois planètes les plus parfaites et les plus tempérées, jubilant en très beau rang dans la longue vie, font référence à l’animus et à la mens dans le corps humain, comme plus bas les quatre plus imparfaites [rappellent] le corps. Il s’en est suivi que les philosophes antiques ayant vraiment atteint la chose philosophique, lorsqu’ils voulaient souhaiter la félicité à quelque ami, leur souhaitaient une béatitude triple et quadruple, c’est-à-dire la santé de l’animus et du corps, en ces mots : fasse Dieu que la mens soit saine dans un corps sain [15].

Libanius, de même :

Je désire et je prie pour que vous vous portiez toujours bien et que vous soyez sain de mens, intact de corps, disposé en l’un et l’autre dans le Christ Jésus [16].

Le ternaire est donc lié à l'animus ou à la mens, et le quaternaire au corps.

Examinons cela de plus près, et voyons tout d'abord comment Dorn définit les composantes de l'homme, en lien avec les nombres.

Les éléments constitutifs de l'homme dans la philosophie de Gérard Dorn

Dorn énumère quatre entités : le corps (corpus), l'anima, l'animus (ou spiritus) et la mens [17].

Le corps est l'organe de l'anima qui, elle, est l'organe de l'animus.

Le corps humain est soumis aux vices et aux corruptions, comme tous le constatent quotidiennement. Il ne désire pourtant rien de lui-même ; il est un instrument dont le moteur est l'anima. On pourrait dire qu'il est neutre, comme l'indique d'ailleurs le genre du mot latin corpus. Pour le rendre docile à la philosophie, il faut trouver son tempérament et mettre un frein à ses appétits et aux affections du cœur. Le corps se compose des quatre éléments et est par conséquent lié au quaternaire. Ce dernier représente la nature d'en bas, la nature inférieure, et la génération.

L'anima se situe entre le bien et le mal ; elle vacille continuellement (de manière double ou binaire) entre son corps et son animus. Lequel des deux va-t-elle servir ? Elle incarne l'intermédiaire, le médium entre deux extrêmes : le corps très impur et l'animus très pur. Elle est donc mobile. Ne chante-t-on pas lors du dernier acte du Rigoletto de Giuseppe Verdi : La donna è mobile, « la femme est mobile » ? L'anima, de genre féminin en latin, représente le côté féminin de l'homme. Depuis le péché originel, la malice l'a pénétrée, et c'est une opération précise qui peut la délivrer de cette entrave à la connaissance divine.

L'animus, lui, ne se tourne que du côté du bien, et il est lié au spiritus divin. Il est le soupirail de la vie éternelle, la partie fixe de l'homme (animus est de genre masculin en latin). On l'associe au ternaire :

Les deux (le corps et l'animus) sont toujours ennemis, jusqu'à ce qu'ils s'unissent en Un par le ternaire et qu'ils deviennent amis par l'Un. (...) Cette amitié ne peut se faire d'aucune autre manière que par une séparation sans laquelle l'union ne s'accomplit nullement [18].

La vraie sagesse consiste à séparer ce qui est bon (anima) de ce qui est mauvais (corpus), et à unir ce qui est bon (anima) avec ce qui est meilleur (animus) [19].

Quant à la mens, elle désigne le plus souvent l'union de l'animus et de l'anima.

L'être humain renferme donc trois parcelles reliées entre elles : l'union du corps et de l'anima est naturelle, alors que celle de l'anima et de l'animus est surnaturelle. Chacun hérite ainsi de deux vies, et la séparation de ces éléments constitutifs provoque les deux morts que l'homme doit redouter.

Pourquoi ces parties ont-elles la volonté de s'unir ? Parce qu'elles proviennent d'une unité préexistante lors de la

création de l’homme unique que le Seigneur a ensuite divisé en deux. Puisque les parties viennent d’une et même chose, elles désirent fortement s’unir à nouveau en Un, et cela en un troisième opérant (à savoir le lien de la nature), par amour et désir mutuel de leur unité naturelle [20].

Si l'homme, le microcosme, est tripartite, on peut en dire autant du grand monde, du macrocosme : le firmament ou ciel en est l'anima, la forme ; l'élément général de la terre est le corps ou matière ; la lumière ou vie de la nature est le spiritus [21]. La même répartition peut se faire dans les éléments insensibles et le domaine alchimique [22].

L'homme contient donc en lui les nombres Quatre, Deux et Trois. Cela ne rappelle-t-il pas curieusement l'énigme du sphinx, magistralement commentée par Psellos, Byzantin du XIe siècle, conseiller personnel d'empereurs d'orient et commentateur génial d'Homère [23] ?

Selon les pythagoriciens, (...) le nombre quatre, étant carré, peut représenter la nature divine à cause de sa ressemblance avec la monade ; mais étant pair, il peut aussi signifier la nature d'en bas, celle de la génération, à cause de sa divisibilité. Dans ce cas-ci, le quatre doit signifier notre nature inférieure, c'est-à-dire celle du corps et des éléments. Le trois, qu'une unité sépare du quatre, est meilleur et plus parfait que lui. Le deux, enfin, indique une impulsion ambiguë, un penchant et une inclination pour les deux sortes de vie. Ainsi, l'homme commence, à sa naissance, par être quadruple, entièrement corporel et élémentaire : il ne conçoit rien d'intelligible, mais est attiré par la terre comme un ver qui s'y tortille. Une fois qu'il se met à penser, il devient double : il se penche tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, et alterne les deux sortes de vie, c'est-à-dire l'inférieure et la supérieure. Enfin, en vieillissant et en avançant en âge et en sagesse, il se révèle triple, à savoir réellement achevé et parfait. On lui lance secrètement, de l'extérieur, comme un bâton, l'intellect pur pour qu'en s'y appuyant, il dresse la tête et embrasse la substance de la nature. Tel est donc l'homme à quatre, deux et trois pieds [24].

Toute la quête de l'être humain se concentre donc sur l'obtention de son unité totale. Pour la trouver, il faut d'abord passer par une séparation.

Comment l'homme a-t-il perdu la vertu de la mens sana et du corpus sanum ?

La chute malheureuse est clairement résumée dans les deux passages suivants :

Dieu, en tant que pure essence consistant par elle-même, incompréhensible par tout autre, invisible, indéfinissable et indivisible, nous est préfiguré par l’unité. Cette essence, évidemment dénuée de multiplicité, n’admet pas de contrariété ni par conséquent d’infirmité. Vu que le monde a été créé par Dieu à l’image et à la ressemblance de l’unité, il persiste dans cette union malgré qu’il soit ordonné par les nombres dont fait mention la Genèse. Ceux-ci devaient conserver encore la nature de l’union même après la désobéissance de l’homme et ne devaient provoquer aucune multiplicité. Mais lorsque l’homme fut attiré par la dualité du binaire, il se précipita dans la confusion de la multiplicité, dans la contrariété et dans la désobéissance. Ayant perdu l’habit de la perfection, la santé du corps et de la mens, le pauvre homme a, en échange, contracté la souillure de tout vice, de l’infirmité et de la maladie. Il n’avait besoin d’aucune médecine avant de tomber, privé de toute santé, dans cette maladie, origine de toutes les maladies. Puisque la première cause de toutes les maladies réside dans le fait que l’homme s’est éloigné de l’unité, c’est donc dans l’unité seulement que réside sa santé et c’est nécessairement en elle seule qu’on doit la rechercher. Voyons maintenant dans quelles maladies il est tombé : dans la confusion et l’appréhension de l’une et de l’autre mort. Il fut donc mal disposé dans son spiritus et dans son corps et vu qu’il sentait qu’il allait subir les deux morts, il a craint la voix de Dieu et s’est caché de lui sans chercher le remède. Pour être conservé, il avait pourtant besoin d’une double médecine : de la miséricorde de Dieu et de pain. Ce dernier contient la guérison du corps, étant donné la réprimande et la punition prononcées par Dieu : « C’est à la sueur de ton visage que tu te nourriras de pain ». Le pain ne doit pas être compris ici uniquement comme aliment soutenant le corps, mais aussi en tant que tout ce qui est nécessaire à la vie naturelle. Le pain est le remède vital du corps malade et malsain ; s’il en est privé, tout comme s’il est privé de nourriture, il est sujet à la mort. Quelle grande perte pour nous d’avoir échangé le pain de la bénédiction contre le pain de la sueur, de la douleur, de l’anxiété et du souci ! Où faut-il chercher ce pain de la médecine (non pas celui qui s’acquiert par cet art, mais celui qui est nécessaire pour retrouver la santé) ? Nulle part ailleurs que là d’où il nous a été retiré, c’est-à- dire dans le jardin du bonheur et de l’unité. (...) Si donc le monde s’était maintenu dans son union, on n’aurait pas eu besoin de médecin ni de médecine. C’est pourquoi le but de toute médecine est de ramener ce qui est malade à l’union sur laquelle nous avons fondé les vrais principes de la physique et de la médecine [25].

Voici notre fondement en médecine : de même que la santé de longue vie nous a bel et bien été donnée par Dieu via l’unité, c’est par elle-même, et jamais autrement, qu’il faut la récupérer. De même, toute maladie de vie brève prend naissance dans la dualité seule [26].

La double santé retrouvée

Le recouvrement de la santé passe, semble-t-il, par plusieurs étapes : une séparation, puis une succession d'unions : celle de l'anima et de l'animus donnant naissance à la mens ; celle de la mens et du corps ; et finalement l'union totale avec l'unité première.

Lisons quelques passages sur cette séparation préliminaire, appelée dans la tradition hébraïque tardemah, hmdrt, ou extase permettant la sortie d'Ève. Lorsque l'esprit quitte le corps, on peut véritablement parler d'une mort, la mort volontaire, philosophique ou initiatique.

Le ternaire n'est jamais ramené à l'unité si le quaternaire n'en est séparé par le feu [27].

Faut-il pas que nous brûlions d’abord la puanteur agressive qui nous lie et qui nous empoisonne de toutes parts ? Car c’est elle qui fait obstacle à l’union de l’amour divin [28].

Nos corps peuvent mourir volontairement, alors que la vie naturelle se maintient, et que nos spiritus ou anima se détachent de leurs corps de manière intellectuelle et surnaturelle, sans dissoudre ce qui est physique. Mais c’est contre et au-delà de la nature qu’ils se détachent, par une faculté purement spéculative ou méditative, de même par un châtiment corporel, non seulement en modérant leur appétit mais aussi en le châtrant. Grâce à la conjonction et à l’association du spiritus divin avec l’anima, par le rejet des choses terrestres et par l’étreinte des choses perpétuelles et célestes, les trois finissent par s’unir en Un [29].

Pour cette raison, l’extraction de la mens hors du corps est nécessaire, pour que se fasse l’union d’elle et de son domicile. Mais en réalité, vu que l’union requiert la perfection de chacune des deux parties, le passage doit se faire en partant de l’extrême parfait (tel qu’avant) via le milieu vers l’imparfait, afin de parfaire ce dernier. Par une telle extraction de la mens hors du corps (que certains appellent la mort volontaire), l’anima et l’animus, joints ensemble, acquièrent la puissance et la domination sur leur corps [30].

La philosophie méditative est la séparation volontaire de la mens bien composée et du corps, qui permet à l’animus de se trouver plus facilement autour de la connaissance de la vérité. Méditer vraiment requiert une bonne disposition du corps, de sorte qu’il n’entrave pas la mens. Elle peut s’acquérir par une double voie : soit par la nature, soit par l’art. (...) On dit donc que la mens est bien composée, toutes les fois que l’animus est uni à l’anima d’un lien tel qu’elle soit capable de mettre un frein aux appétits du corps et aux affections du cœur [31].

De Saturne à la lune et au soleil, il n’y a qu’une voie qui est l’épuration patiente du corps brut jusqu’à l’union de l’esprit net avec l’âme parfaite [32].

Cette opération de séparation par le feu permet la première union : celle de l'anima et de l'animus. 

Une fois cette mens unique engendrée par intervention divine, le corps devra se soumettre et deviendra le domicile de la sainteté. Commence alors une longue cuisson ou maturation, aboutissant à une union plus pure et plus solide encore.

C’est bien de cette connaissance que naît la mens et que s’accomplit la séparation volontaire du corps, lorsque l’anima, constatant d’une part la laideur et la mort du corps, et d’autre part la supériorité et la félicité perpétuelle de l’animus, désire se lier à ce dernier (par un souffle divin), en négligeant totalement l’autre, afin de ne plus rechercher que ce qu’elle voit comme réservé par Dieu pour sa gloire et pour son propre salut. Le corps est finalement forcé de condescendre à l’union des deux autres déjà unis et d’y obéir. Voilà l’admirable transmutation des philosophes, du corps en spiritus et de ce dernier en corps, au sujet de laquelle les sages nous ont laissé cette parole : rends le fixe volatil et le volatil fixe, ce par quoi tu auras notre magistère. Comprends cela de la manière suivante : du corps très tenace, fais-en quelque chose de maniable, qui devienne, par la supériorité de l’animus s’accordant avec l’anima, un corps très constant, capable de résister à tous les examens [33].

Le corps s'unit au ternaire, donnant ainsi naissance au septénaire.

Nous ne nions pas que le quaternaire puisse reposer dans le ternaire en vue de la constitution de la semaine philosophique, dont nous avons fait plus haut une large mention. Et pourtant, [cela ne se fera] pas avant qu’il ne se dépouille de la nature du binaire, son parent, en passant par le ternaire pour aller à la simplicité de l’unité et ensuite à la philosophie adepte. Tous les nombres impairs masculins sont considérés comme relatifs à la forme, dont le père est le ternaire. Les [nombres] pairs féminins, par contre, sont relatifs à la matière, dont la mère est le binaire [34].

L'union du Trois et du Quatre peut donc se traduire par l'union de l'homme et de la femme, de la forme et de la matière. Une fois le processus naturel entamé (celui de la Sainte Nature, s'entend), l'homme intérieur androgyne croît et rejoint, petit à petit, la véritable Union première.

Nous concluons de tout cela que la philosophie spéculative consiste dans le surpassement du corps, une fois l’union mentale réalisée. Cependant cette première union ne fait pas encore un sage, mais seulement un disciple mental de la sagesse. C’est la seconde union de la mens avec le corps qui produit un sage qui espère et attend la troisième union, achevée celle-là, et béate, avec l’unité première [35].

L’amour a commencé avec la première séparation ; il reposera avec la dernière réintégration dans l’identification de l’union totale [36].

Nous ne désirons pas abandonner notre corps pour nous dissoudre dans les limbes du commencement. Nous désirons le purifier et l’affermir avec l’aide de Dieu afin de pouvoir l’habiter pour l’éternité. Il y a là une différence que remarqueront les intelligents de Dieu, car si l’union partielle avec Dieu est digne de louange et d’admiration, seule l’union totale en esprit, en âme et en corps est digne d’adoration [37].

Terminons ce chapitre par deux citations qui résument toute l'opération de manière magistrale :

L’homme est naturellement Un et on ne le compte pas ; mais surnaturellement, on le compte en deux, à savoir en spiritus et en corps, qui constituent en lui le binaire. Mais à cause de l’antique corruption, le dernier surpasse le premier, ce qui fait que le spiritus ne peut rien produire d’admirable. Pour qu’il le puisse dans cette vie, le binaire devra être surpassé par le ternaire, c’est-à-dire que le corps doit se conformer à la nature du spiritus et que le spiritus doit être conjoint au corps, en sorte d’y avoir ensuite la paix. Cela fait, le ternaire, né dans la seconde unité, jubile désormais parfaitement. En effet, c’est à partir desdits deux et des précédents qu’un troisième s’est fait Un, par union. Cette conjonction doit néanmoins se faire par les degrés du quaternaire, c’est-à-dire par la transmutation des éléments dont le corps se compose, en un élément unique et très pur, de la manière suivante.

C’est évidemment d’abord de la terre de ton corps qu’il faut faire une eau. Autrement dit, que ton cœur de pierre, terreux et inactif, soit rendu mou et éveillé à atteindre la connaissance de son Dieu et de soi-même. Ainsi, les images et les contemplations du spiritus pourront bien être imprimées en lui, comme les caractères du sceau dans de la cire. Ensuite, de cette eau, qu’on fasse un air. En d’autres mots : fais-la monter en haut dans le ciel, vers celui qui a créé ton cœur contrit et humilié, à l’instar d’un air qui tend toujours au plus haut. En priant, frappe pour qu’on t’ouvre le génie afin qu’il comprenne les choses qui sont de Dieu. Finalement, que se fasse de cet air un feu. C’est-à-dire, que tout désir de ton cœur déjà sublimé se convertisse en amour (auquel on compare le feu à cause de son ardeur) de Dieu et de ton prochain ici sur terre, de sorte que cette flamme ne s’éteigne jamais. De cela même s’ensuivra que, par analogie, ton binaire (à savoir ton spiritus et ton corps) sera parfaitement joint en un ternaire unique, par les trois degrés du quaternaire, comme tu l’as entendu [38].

À présent, nous sommes enfin aptes à comprendre tous les arcanes, tant naturels que surnaturels, et étant créés par Dieu 'philosophes adeptes', nous nous remplissons de toute sagesse. Il faut en tout cas noter ceci : de même qu’aux premier, deuxième et troisième degrés, notre cœur, en s’éloignant de la terre vile, sordide et corruptible, monte vers le haut, de même, par les quatrième, cinquième, sixième et septième degrés, il descend dans une terre rénovée, incorruptible, solide, constante, capable de résister à n’importe quelle insulte de l’ennemi et devenue inséparable de l’unité à laquelle elle a été conjointe. (...) Les deux parties de cette seule et même sapience correspondent respectivement à la partie théorique de la science supérieure surnaturelle et à la partie pratique de la sapience inférieure naturelle. Mais (...) toute connaissance des arcanes naturels dépend de la connaissance des [arcanes] surnaturels [39].

Le mystère du nombre Sept : Mens sana in corpore sano

Le septénaire indique l’union du ciel avec les éléments. Il en va de même, dans le surnaturel, de la paix de la mens avec le corps et du repos éternel dans l’union [40].

Révérons et observons aussi la sanctification du repos par le septénaire qui indique l’union de la mens avec le corps ou celle de l’éternité avec le passager [41].

La charnière de ce mystère entier tourne autour du rejet du binaire ; ce n’est qu’alors que le ternaire uni au quaternaire permet à celui-ci de reposer dans celui-là par le septénaire. Et une fois que le ternaire a été restitué au septénaire, on parvient à la similitude de l’unité dans la révolution du dénaire qui se cache sous forme de centre (comme nous l’avons dit), tant dans les choses naturelles que dans toutes les autres et dans les surnaturelles [42].

Quand on possède le Sept, la mens unie au corps, on connaît la véritable béatitude, car on a été bien « augmenté ».

[Le septénaire], on l'appelle encore le nombre de béatitude et de repos, d'où vient : O terque quaterque beati, c'est-à-dire heureux dans l'âme et dans le corps. Le septième jour, le créateur a cessé son travail, et s'est reposé ; c'est pourquoi Moïse appelle ce jour le Sabbat, c'est-à-dire le jour de repos ; c'est aussi pourquoi le Christ reposa le septième jour dans le sépulcre. Ce nombre a aussi une grande communion avec la croix, comme nous l'avons dit, et avec le Christ ; car toute notre béatitude, notre repos et notre bonheur est in Christo [43].

La sainte Mère est légère comme l’air et changeante comme l’eau. Le Père sacré est pesant comme la terre et immuable comme le feu. L’union des quatre engendre le triple Fils, qui manifeste la création prodigieuse de l’Unique [44].

EH a dit un jour :

Comme les six jours de la création, notre destin ici-bas n'aboutit à rien. Il faut que quelque chose en plus vienne à l'homme pour lui permettre de trouver son repos et d'accomplir son destin. Le septième jour apporte l'accomplissement et, avec lui, le repos.

Ce septénaire, associé à la béatitude, aboutit donc à l'union totale :

Il nous faut devenir indifférents aux biens matériels et comme absents aux dons spirituels, afin de pouvoir goûter pleinement la béatitude de l’union divine. « Voilà la pauvreté au monde, et voilà la richesse en Dieu » [45].

C’est vers (l'Un) que, du ternaire et du quaternaire, il se fait un progrès vers la monade, pour que le dénaire soit accompli. C’est en effet par lui qu’il y a un retour du nombre vers l’Un, en même temps une descente au Quatre et une montée à la monade. Il est impossible d’accomplir le dénaire autrement que par lui. Car la monade dans la triade heureuse se convertit. Tous ceux qui ignorent ce principe après le principe de la monade ne retirent rien comme profit dans le ternaire, et n’atteignent pas au sacré quaternaire. (...) Le quaternaire, lui, est le nombre pythagoricien soutenu par le ternaire ; s’il observe son rang et son degré, étant purifié, pur, il peut opérer les merveilles et les choses cachées de la nature, dans l’Un, vers le binaire dans le ternaire. C’est le quaternaire dans la mesure duquel le ternaire, conjoint au binaire en Un, fait tout ce qu’il fait merveilleusement. En effet, le nombre ternaire, ramené à l’unité par l’aspect, contient tout en soi et peut tout ce qu’il veut [46].

Conclusion

Si l'homme se connaît lui-même, comme l'y encourage le fameux Gnîqi seautÒn [47], il possède son unité totale. Il pénètre alors le mystère de l'unaire, du binaire, du ternaire, du quaternaire et du septénaire. On aurait également pu parler de la quintessence, du dénaire, du chiffre du Messie (le Huit), des neuf Muses, des dix-neuf vertèbres de l'homme, et de tant d'autres nombres symboliques et riches en enseignement.

Ceci nous amène à la Philosophie des nombres, comme si le monde du Sabbat était le monde ab chao. Le chaos est exclu des nombres créateurs, car on ne peut le mesurer. Lorsque la mesure y est introduite, il cesse d'être chaos pour devenir création [48].

Revenons à l'épigramme du début de l'article : « Repoussons les choses laides et compliquées et consacrons tous nos loisirs à la quête de l’unique beauté » [49]. Le mot « compliqué » fait allusion à la multiplicité, puisque le mot latin complicatus signifie littéralement « composé de plusieurs plis », alors que le mot « simple », simplex, renvoie à quelque chose qui n'a qu'un seul pli. Tant que les choses ne sont pas ramenées à leur unité, elles sont compliquées et laides, et non simples et belles. Autrement dit, l'homme ne retrouvera sa véritable beauté, bonté et béatitude, qu'en unissant en Un son corps, son animus et son anima. C'est un secret simple, hélas compliqué pour nous, profanes...

Répétons donc, sans nous lasser, la prière de Juvénal : « que la mens saine soit dans un corps sain » !

Si chacun se simplifiait sans attendre que le voisin commence, toute
l’humanité serait vite resplendissante de beauté et de sainteté [50].

Caroline Thuysbaert

 

[1] « Le Message Retrouvé », XXXI, 11, dans L. Cattiaux, Art et hermétisme [Œuvres complètes], Beya n° 4, Grez-Doiceau, 2005, p. 344.
[2] Celui-ci connaissait le grec à la perfection, au point de le parler et de l'écrire couramment. Garder nos langues anciennes vivantes ne doit donc pas se limiter à une préoccupation philologique ou culturelle.
[3] E. d'Hooghvorst, Le Fil de Pénélope, t. I, Beya n° 10, Grez-Doiceau, 2009, p. 50.
[4] Gérard Dorn, dans C. Thuysbaert (éd.), Paracelse – Dorn – Trithème, Beya n° 13, Grez-Doiceau, 2012, p. 105.
[5] Jamblique distingue les Pythagoriciens ou Pythagoriques (les disciples intérieurs) des Pythagoristes (d'un rang extérieur).
[6] Dans Beya n° 13, o.c., p. 522.
[7] Tellement présent, dans les écoles dites « rénovées », que le goal de football remplace le but philosophique, que la piste athlétique balaie les listes de vocabulaire grec, et que les chaussures de jogging écrasent le latin et la géométrie ! O tempora, o mores...
[8] Le mot « sagesse » vient du latin sapientia, dont le sens premier est « goût ».
[9] Juvénal, Satire X, 366.
[10] Les Grecs associaient ces deux vertus dans le kalÕj k¢gaqÒj.
[11] La tradition hébraïque qualifie le don de Dieu de « supplément d'âme ».
[12] Virgile, Énéide, I, 94 à 96. On traduit souvent par « mourir (oppetere) devant la face de leurs pères ».
[13] Homère en faisait déjà mention, bien avant Virgile ; cf. Odyssée V, 305.
[14] Voici le titre complet : Philosophiae Magnae Aureoli Philippi Theophrasti Paracelsi, Helvetii, ab Hohenhaim, Philosophorum atque medicorum omnium facile principis, collectanea quaedam : quorum summarium post Apologiam invenies. Il s'agit d'extraits (traduits en latin) d'un ouvrage de Paracelse, publié à Bâle chez Pierre Perna en 1569. Si Dieu le veut, sa traduction française paraîtra dans un futur proche.
[15] Dans Beya n° 13, o.c., p. 197.
[16] Extrait d'une lettre de Libanius adressée à Trithème, dans Beya n° 13, o.c., p. 531.
[17] Ce chapitre est, en grande partie, un résumé de Beya n° 13, o.c., pp. 116 e.s. Nous garderons les termes latins, pour éviter la confusion engendrée par leur traduction.
[18] Idem, p. 119.
[19] « Le Message Retrouvé », I, 45, dans L. Cattiaux, o.c., p. 39. Les mots entre parenthèses sont nôtres.
[20] Beya n° 13, o.c., pp. 29-30.
[21] Idem, pp. 76 e.s.
[22] Idem, pp. 58 e.s.
[23] C'était l'époque bénie où de vrais philosophes gouvernaient ou conseillaient les dirigeants politiques... Aujourd'hui, les (pseudo) philosophes proches du pouvoir et du management ne sont plus que des pourvoyeurs de bonne conscience pour ceux qui sont en quête (de plus en plus) effrénée de domination et de gain.
[24] H. van Kasteel, Questions Homériques, Beya n° 12, Grez-Doiceau, 2012, pp. 851 et 852.
[25] Dans Beya n° 13, o.c., pp. 20 à 22.
[26] Idem, p. 221.
[27] Pelagius, L'Anacrise, Robert Amadou, Paris, Cariscript, 1988, chapitre 15.
[28] « Le Message Retrouvé », XXIII, 21', dans L. Cattiaux, o.c., p. 272.
[29] Dans Beya n° 13, o.c., pp. 59 et 60.
[30] Idem, p. 120.
[31] Idem, pp. 116 et 117.
[32] « Le Message Retrouvé », III, 7', dans L. Cattiaux, o.c., p. 54.
[33] Dans Beya n° 13, o.c., p. 144.
[34] Idem, p. 240.
[35] Dans C. Thuysbaert et S. Feye, La Clef de toute la philosophie chymistique, Beya n° 16, Grez-Doiceau, 2014, p. 73.
[36] « Le Message Retrouvé », V, 45', dans L. Cattiaux, o.c., p. 81.
[37] Ibidem, XXIX, 45 et 45', p. 334.
[38] Dans Beya n° 13, o.c., pp. 111 et 112.
[39] Idem, pp. 115 et 116.
[40] Idem, p. 38.
[41] Idem, p. 49.
[42] Idem, p. 241. Nous touchons ici à la tétractys pythagoricienne qui mériterait, à elle seule, tout un article.
[43] Henri Corneille-Agrippa, La Philosophie occulte ou la Magie, livre second, éd. Traditionnelles, Paris, 1996, p. 41.
[44] « Le Message Retrouvé », VIII, 38, dans L. Cattiaux, o.c., p. 107.
[45] Ibidem, XVIII, 7, p. 206.
[46] Dans Beya n° 13, o.c., pp. 528 e.s.
[47] Inscription figurant sur le fronton du temple d'Apollon à Delphes : « connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux ».
[48] E. d'Hooghvorst, Cours d'hébreu, I, p. 37.
[49] « Le Message Retrouvé », XXXI, 11, dans L. Cattiaux, o.c., p. 344.
[50] Ibidem, XIII, 43, p. 151.

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